DOM JUAN
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
Route du Champ-de-Manoeuvre
75012 Paris
Tél: 01 43 28 36 36
Jusqu’au 17 avril 2016
du mardi au samedi à 20h00, dimanche 16h00
Crédit photo : © Svend Andersen
Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, que l’on voit une histoire classique transposée à une autre époque que celle à laquelle elle a été écrite. Le but ? Rendre contemporains des propos qui peuvent parfois paraître datés et obsolètes, de manière à ce que ce qu’ils parlent, touchent et intéressent un public moderne. La plupart de ces tentatives sont ratées car elles se contentent de mettre un vernis actuel sur de l’antique ou d’agrémenter l’histoire originale de clins d’œil pesant à l’actualité, pâle corruption par l’ambiance médiatique.
La mise en scène d’Anne Coutureau fait partie des adaptations réussies car elle ne tente pas d’imposer de « l’extérieur » sa vision contemporaine de la pièce de Molière. Elle a travaillé les personnages de l’intérieur pour en faire sortir des traits contemporains qui nous parlent de façon immédiate. Disons qu’ils sont reconnaissables. L’exemple le plus frappant éclate dans les scènes des paysans (où Dom Juan séduit en même temps Charlotte et Mathurine au grand dépit de Pierrot, amoureux de Charlotte) : ce ne sont plus des paysans mais des jeunes aux pieds d’une barre d’immeuble de nos jours. Le décor consiste alors en de grands tags et autres street art peints en fond de scène et d’un bloc posé en avant scène comme un mobilier urbain en béton.
Dis comme cela, cela paraît artificiel, mais la réalisation ne l’est pas du tout car ces scènes et ces personnages sont formidablement pris à bras le corps par les interprètes. Ils usent évidemment de toute la panoplie des tics et des accents des jeunes de banlieue, mais ni plus ni moins qu’à son époque, Molière caricaturait à outrance le parlé et les mœurs des paysans : s’en moquant avec cœur, mais s’en moquant sans scrupule. (À ce jeu, Birane Ba hausse le personnage de Pierrot à la hauteur des bons stand-up, et Alison Valence donne une juste et naïve fragilité comique à Charlotte).
L’intelligence de la mise en scène d’Anna Coutureau tient également au choix de ne plonger à aucun moment l’histoire dans un réalisme quelconque. On se croirait dans un espace mental. Le plateau est plutôt vide. Y apparaissent des lieux et des éléments de décors, souvent amenés par des servants de scène capuchonnés comme des moines ou des lépreux. Messager de l’au-delà, sans aucun doute. L’histoire se déroule ainsi dans trois lieux scéniques principaux : un vide empli de nappes de fumée où se déroulent toutes les scènes au bord de mer et celle dans la forêt sur le chemin pour retrouver la ville, des draperies monumentales et une table idoine pour la demeure de Dom Juan, et enfin, la nef d’une église pour les scènes de fin, scènes de l’hypocrisie (« L’hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertu… »).
C’est à l’intérieur de cet espace mental que tout se déroule, scènes après scènes, dans cette chute du libertaire, du libre esprit, vers les profondeurs des enfers. On croirait un chemin de croix. Une suite infinie d’empêchements et de rencontres inattendues et pour la plupart exaspérantes pour Dom Juan. Rencontres qui le détournent sans cesse de son objectif. On sent ici tout le travail du dramaturge qui joue avec son personnage, ne le lâche pas et lui empêche tout repos.
Sganarelle et Dom Juan… Sganarelle, lui aussi, est modernisé : jeune, jolie allure, joli bagout, un jeune de notre époque qui a l’air de sortir de chez le coiffeur avec presque pas d’accent rappeur (très intéressante création de Tigran Mekhitarian qui anime le personnage d’une gestuelle et de mimiques parfois exagérés mais qui a le mérite de lui donner une vie et une agitation perpétuelle). Du Sganarelle d’origine l’aspect moraliste est très accentué. Il est là sans presque aucune duplicité. Son côté malin est toujours présent mais étouffé par les croyances superstitieuses. Il migre bizarrement du terrien crédule qu’il est au départ au moraliste bien-pensant drapé dans sa bonne volonté et dans son ignorance dont il fait un drapeau.
Dom Juan, son maître, est lui en comparaison, vieillissant. Du provocateur libre pourfendeur des moralistes, des censeurs et des esclaves de la religion, il ne reste qu’un être insatisfait, en fuite perpétuelle, mais surtout, un être soumis à ses désirs charnels (atteint de priapisme ?) : le contraire d’un esprit libre. À tel point que dès la première scène, l’étalage de ses désirs de conquêtes amoureuses déclenche les rires des adolescents du public.
C’est là que le parti-pris d’Anne Coutureau est dérangeant, mais sans aucun doute volontaire.
À ce jeu de contemporanéité, les personnages secondaires étincellent tandis que les héros paraissent bien fatigués. Parlons d’Elvire : ses interventions se font sans âme. Elle est rendue concrète et très vaguement intéressante.
Le rythme de la comédie est abandonné au profit d’un tempo beaucoup plus lent, grave, posé.
Pour revenir une dernière fois sur le personnage titre, celui-ci paraît être passé à la moulinette de la psychologie du XXème siècle. Ses déclarations semblent de frêles paravents qui cachent un désir inconscient d’anéantissement dans la jouissance et la volonté de semer le mal.
La fin du spectacle est en cela encore plus déroutante. Celui qui est emporté à l’origine dans le feu de l’enfer, se dirige ici en titubant vers le Christ en croix qui soudain se met en mouvement et devient le double en reflet de Dom Juan.
Dom Juan, martyre ?
Bruno Fougniès
Crédit photo : © Svend Andersen
Dom Juan
De Molière
Mise en scène Anne Coutureau
Scénographie James Brandily
Assistante à la mise en scène Elise Noiraud
Son Jean-Noël Yven
Costumes Julia Allègre
Maquillage et coiffures Solange Beauvineau
Avec :
Birane Ba Pierrot, Dominique Boissel Dom Louis, Johann Dionnet Dom Alonse, Monsieur Dimanche, Pascal Guignard-Cordelier Francisque, Florent Guyot Dom Juan, Peggy Martineau Done Elvire, Tigran, Mekhitarian Sganarelle, Aurélia Poirier Mathurine, Kevin Rouxel Dom Carlos, Alison Valence Charlotte
Mis en ligne le 1er avril 2016