Quatre acteurs fabuleux redonnent vie au texte de Marguerite Duras – écrit en 1954 et immortalisé au cinéma en 1977 – qui présente d'autant plus d'intérêt que les personnages principaux, sont inspirés de la mère et du frère de l'auteure. Ici, Thierry Klifa opte pour une mise en scène épurée qui sert un décor d'une sobriété de bon aloi (un appartement, un banc public, un bar). Il laisse ainsi la vedette à ses acteurs qui donnent de leur personne et de leur talent sans jamais s'économiser.

L'élégante Fanny Ardant, la mère, arrive des colonies où elle a fait fortune – en témoignent les lourds bracelets d'or qui ornent ses poignets. Elle est de passage à Paris pour rendre visite à son fils Jacques, Nicolas Duvauchelle, qu'elle n'a pas vu depuis cinq ans. Celui qui passait son temps, enfant, à grimper aux arbres est devenu un gigolo de bas étage, un joueur invétéré ruiné et il vit plus ou moins avec la jeune entraîneuse pas très maligne Marcelle, interprétée par Agathe Bonitzer.

On assiste à ces retrouvailles, tantôt tendres tantôt violentes mais toujours passionnées, si bien qu'elles se teintent même d'inceste parfois. Mère et fils s'enlacent, se déchirent, s'aiment et se haïssent. On comprend les clés de leur relation au fur et à mesure, entre culpabilité et rancœur avec, en fond, une trame simple : la mère souhaiterait que Jacques reprenne l'usine familiale dans les colonies pour le sortir sa vie de bohème. Le destin de Jacques est-il conditionné par les agissements de sa mère ?

Les mots sont forts, le jeu est vivant, le spectateur est transporté dans un autre temps – notamment grâce au splendide travail musical réalisé par Alex Beaupain (que l'on connaît pour la musique du film Les chansons d'amour) –. Citons des reprises de Retiens la nuit, Capri c'est fini ou encore Chercher le garçon. Et tout comme la jeune Marcelle, nous sommes les observateurs enthousiastes, ou effrayés du spectacle des retrouvailles. Les interventions de son personnage sont un peu naïves mais permettent d'appuyer là ou cela fait mal : « On est bien seules pareilles toutes les deux », dit-elle à la mère.

Dans ce rôle, Agathe Bonitzer que l'on a vu récemment dans le film Au bout du conte est exquise. Quant à Nicolas Duvauchelle, son interprétation emporte la conviction.

Enfin, la vedette du spectacle est évidemment Fanny Ardant. Grâce à une interprétation magistrale et son timbre de voix intense et reconnaissable entre tous, elle illumine la scène de ses changements d'humeur, entre pulsion de vie et de mort, gourmande, ivre, désespérée.

Un très beau moment de théâtre qui pose une question clé : sommes-nous fondamentalement les enfants que nos parents ont voulu que nous soyons ?

Ivanne Galant

 

Des journées entières dans les arbres

Texte de Marguerite Duras
Mise en scène : Thierry Klifa

Avec
Fanny Ardant
Nicolas Duvauchelle
Agathe Bonitzer
Jean-Baptiste Lafarge

Musique de Alex Beaupain