DÉPENDANCES

Théâtre du Petit Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tél : 01 43 87 23 23

Jusqu'au 2 août
les jeudis, vendredis et samedis à 21h30 – relâche le 24 juillet.

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Mis en ligne le 12 juillet 2014


David Géry et Gilles Kneuzé

Cela commence à demi-mots, des bouts de phrases désossées, jetés vaguement là, comme de la gêne, des banalités, des presque riens d'impatience pour un rendez-vous irritant. Une sale contrainte. Tobias bout, Henri tente de le calmer. Ce sont deux hommes achevés, deux frères dans l'attente du troisième qui tarde à venir.

Ils sont dans l'appartement où ils ont passé leur enfance. Les locataires partis, la famille doit décider ce qu'il est bon d'en faire. Le vendre et partir chacun avec sa part ?

La mère a préféré attendre en bas, de l'autre côté du carrefour. Les fils décideront ce qu'ils veulent pour cet héritage. Le garder encore ? Pour qui ? Pour quoi faire ? Pour les souvenirs ?

Ils ont grandi, ils ont vécu, maintenant, c'est si loin, l'enfance.  Des souvenirs, ils n'en ont presque aucun. Alors ?

Alors, ils ne peuvent rien décider avant que le troisième frère arrive enfin. Rien. Ils attendent et parlent et l'on se met à soupçonner un secret.

Le texte de Charrif Ghattas explore les creux du langage où frémissent le sincère, l'aveu, le sentiment, ces silences et sous-entendus pleins de reproches qui sont comme la terre où se nourrissent les liens qui unissent les membres d'une même famille. Ces non-dits, ou ces éternels désaccords qui ressemblent à un cérémonial toujours recommencé.

Il s'agit ici de frères que la vie a séparés. Il s'agit surtout de celui qui est retard, qui viendra ou ne viendra pas, celui qui a toujours tout mieux réussi que les deux autres, celui qui d'une certaine manière les a abandonnés et qui encore une fois, à ce rendez-vous important, familial, n'est pas là.

L'histoire se joue quasiment en temps réel, de 14h à 15h30, dans le vif d'un réalisme presque cinématographique. La minutie de chaque détail, de chaque respiration, de chaque inflexion donne à ce spectacle un rythme haletant, comme si l'on était dans l'attente d'une explosion qui en finirait avec cet appartement, cette méchante épine dans le pied de chacun des personnages.  Une de ces choses dont on voudrait se débarrasser, dont on ne peut pas se débarrasser. Comme de l'enfance, comme ces blessures qu'on a reçues et qui font partie de nous et qu'on voudrait parfois oublier, comme ces manques qui creusent le ventre les soirs de solitude et qu'on ne peut pas crier.

Les deux interprètes ont une présence sans faille. Chacun d'eux a créé un personnage authentique, original, sensible. David Géry est un Tobias écorché, secoué par une tempête intérieure qu'il contient de toutes ses forces, et tempère par une élocution sans cesse retenue, sourde et vibrante. Gilles Kneusé crée un Henri à l'apparence solide, modérateur des conflits entre ses frères, un homme sûr de lui, portant costume comme une armure. Il est de ceux qui ne montrent rien de peur de paraître faible, de peur de se montrer vraiment. Les deux comédiens portent cette histoire avec tout leur métier, leur art et leur sensibilité.

A la fin, le secret est enfin révélé. Mais c'est un détail, tout a été dit, et surtout cet amour entre frères qui ne parvient jamais à passer le bord des lèvres.

 

Bruno Fougniès

Dépendances

Texte et mise en scène de Charif Ghattas

avec

David Géry et Gilles Kneusé