DÉMOCRATIE |
Théâtre 14 Jean-Marie Serreau Mardi, vendredi à 20h 30, mercredi, jeudi à 19h00, samedi à 16h00 et 20h30 « La démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres. » Winston Churchill L'affiche sobre et le pitch qui nous parle de l'ascension puis de la chute de Willy Brandt pourraient donner à imaginer une pièce certes intéressante mais peut-être légèrement ennuyeuse. Eh bien, il n'en est absolument rien et c'est une heureuse surprise ainsi qu'un immense bonheur de découvrir une œuvre saisissante, passionnante de bout en bout, portée par des comédiens inspirés qui livrent avec un plaisir évident un texte magnifique, dense et puissant dans une mise en scène fluide, rythmée et astucieuse. On ne voit pas passer les presque deux heures qui nous racontent cette incroyable histoire construite comme un thriller pour se terminer en tragédie. L'auteur, Michael Frayn, a aussi été journaliste et c'est sans doute ce qui rend sa plume nerveuse et précise. Il est superbement servi par Jean Claude Idée qui a géré lui-même avec talent, assisté de Jean François Viot, mise en scène, scénographie, costumes et lumières, ce qui donne une grande cohérence à l'ensemble. Sur la scène, chaises et bureaux servent de décor, déplacés et agencés au gré des péripéties, fermés au fond par un haut mur gris. Mêler actions et narration est une excellente idée qui donne une dimension supplémentaire à l'histoire. L'espion Günter Guillaume se raconte à Arno Kretschmann, agent de la STASI, seul personnage inventé, incarné à la perfection par un François Sikivine qui sait se glisser comme une ombre au milieu des protagonistes, qui voit sans être vu, symbolisant la surveillance mise en place par les hommes de l'Est. Les scènes racontées se déroulent immédiatement sous nos yeux, s'entremêlent parfois, donnant à la fois puissance et clarté à l'histoire qui devient l'Histoire. Mieux qu'une vaine et stérile démonstration, ce spectacle nous décrit sans complaisance et avec réalisme les arcanes du pouvoir, les manipulations, les compromissions mais nous fait dans le même temps toucher du doigt ce que peut être la vie d'un homme politique. Cet homme politique, Willy Brandt, connu pour avoir œuvré au rapprochement des Allemagne de l'Est et de l'Ouest, c'est Jean Pierre Bouvier. Complètement habité par son rôle, à qui il donne un côté terriblement humain, tour à tour volontaire, puis tourmenté par les doutes, les questions qu'il se pose, seul comme l'est tout homme de pouvoir, il sort là de ses rôles de grand séducteur et trouve sans doute son meilleur rôle qui lui permet de donner toute la mesure de son talent. Alain Eloy campe un espion époustouflant, partagé entre sa mission et l'admiration, voire l'affection qu'il va finir par éprouver pour le Chancelier. Autour d'eux huit autres comédiens jouent avec une grande vérité les ministres, chef de la sécurité, conseillers, garde du corps. En costume cravate chapeau, ils restent constamment en scène dans ce huis clos captivant, tour à tour entrant dans la lumière ou se faisant oublier dans l'ombre. Les scènes se succèdent, parfois drôles, parfois dramatiques, souvent d'une grande force évocatrice comme celle où Willy Brandt s'agenouille simplement, lui l'homme des « discours silencieux », qui sait qu'un geste est plus parlant que de longues phrases. Les rouages de la politique sont démontés, ce monde sans pitié où l'on n'a pas d'amis, où chacun veut sa part du gâteau, prêt pour cela à toutes les trahisons, où l'on trouve parfois plus de soutien chez ses adversaires que dans son propre camp. La fin est superbe, bouleversante. Voilà une œuvre exceptionnelle, une parfaite réussite, où le spectateur est subjugué, emmené, transporté et parfois, soudainement, au détour d'une phrase, d'un geste, saisi par l'émotion. Une œuvre qui tout en étant formidablement accessible nous fait sentir plus intelligent.
Nicole Bourbon Démocratie de Michael Frayn Avec : Jean-Pierre Bouvier, Xavier Campion, Emmanuel Dechartre, Alain Eloy, Jean-François Guilliet, Frédéric Lepers, Frédéric Nyssen, François Sikivie, Freddy Sickx, Alexandre von Sivers
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