Ça commence comme une scène de la vie à deux dans ce qu'elle peut avoir de plus tragicomique : « elle » et « lui » ergotent vainement pour savoir si la tortue diffère ou non du limaçon. Ce débat est prétexte à des remarques de mauvaise foi, aux reproches mesquins, aux vieilles rancunes et autres exaspérations. Mais cet échange de paroles semble surtout reproduire en plus petit les échanges de tirs des bandes rivales de la rue : dehors la guerre fait rage et, devant la menace de plus en plus pressante qu'elle représente, le couple se met à l'abri dans son appartement qui lui sert de refuge pour mieux se retrouver… à moins qu'il ne s'agisse davantage d'un piège que d'un repli !

C'est peut-être le sens de ce « délire à deux » puisqu'on peut douter de la réalité de cette guerre aux portes de cet appartement, comme on peut douter du véritable objet de discorde sur la nature de la relation entre la tortue et le limaçon. Une chose est sûre : la vie délire sur scène.

La mise en scène de Rachel André, qui joue par ailleurs le rôle féminin, assume l'exubérance de cette petite pièce de Ionesco. Les bruits de guerre sont stylisés, les explosions de bombes métaphorisées, les coiffures ébouriffées : c'est ce refus du réalisme qui certainement justifie un jeu des acteurs pouvant sembler forcé à la levée du rideau, mais qui prend sens au fur et à mesure que la pièce progresse dans sa logique de l'absurde.

Frédéric Manzini

 

Délire à deux

D'Eugène Ionesco
Mise en scène : Rachel André
Assistée de : Elisabeth de Ereno
Collaboration artistique : Pierre-Louis Gallo
Création sonore : Julien Cousset
Scénographie et lumière : Xavier Lescat

Avec : Rachel André et Benjamin Tholozan