CRIME ET CHÂTIMENT

Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
01 45 44 57 34

Jusqu'au 13 septembre
du mardi au samedi à 21h30

Merci de cliquer sur J'aime
Mis en ligne le 6 août 2014

 

« Crime est châtiment » est considéré comme l'ancêtre des polars psychologiques. La trame centrale du roman est une histoire de meurtre et une enquête suivie d'aveux, d'un jugement et d'une condamnation. Mais il ne s'agit pas que de cela. C'est le roman des consciences et du sentiment de culpabilité.

Raskolnikov, le héros du livre est un jeune étudiant pauvre en plein doute, un idéaliste qui tente de comprendre comment fonctionne le monde, comment doit se comporter un homme dans ce monde, comment remédier au malheur du monde. Son constat est simple : ce qui est une faute, une abomination, un crime chez l'homme ordinaire devient un acte de bravoure, admirable, fondateur quand il est perpétré par un grand homme (tel Napoléon). Deux jugements pour un même acte : condamnation d'un côté, adulation de l'autre. Raskolnikov déduit de ce constat qu'il existe deux sortes d'hommes : les grands hommes comme Napoléon et les hommes ordinaires. Tout dépend du motif de leurs actes.

Raskolnikov est un pur, un idéaliste qui passe à l'acte et chute soudain dans le monde réel. L'âme tâchée et enfiévrée par son crime, il erre parmi les autres âmes impures, perverties. C'est la chute d'un ange. Son crime fait, c'est comme s'il découvrait le monde corrompu, peuplés de malheureux qui l'entoure et il ne voit plus qu'eux.

Dans cette adaptation, Virgil Tanase a tenté de conserver tous les personnages principaux du roman excepté le seul ami de Raskolnikov, Razoumikine, un cœur pur lui aussi, honnête, mais lucide, sans idéalisme exalté. Le seul personnage à la fois vrai et positif du roman. Virgil Tanase a voulu ne s'intéresser qu'aux âmes blessées, touchées par le drame, rongés par la culpabilité.

Une étude presque académique de ce sentiment intense qui tenaille tous les personnages.

Ils sont neufs, les uns obsédés par l'argent (son manque ou son excès), les autres par la corruption, le vice, l'alcool, les derniers par les nécessités du quotidien, mais tous gémissent après cette flamme de pureté et d'idéal qu'ils sentent encore brûler en eux malgré l'abaissement et le sacrifice auxquels la vie les a poussés.

La mise en scène de Virgil Tanase, nous fait suivre Raskolnikov dans une sorte de tourbillon. Il se retourne et découvre une partie de l'humanité. Il se retourne encore et assiste à une autre scène poignante. Il veut fuir le monde et en même temps il poursuit sans cesse sa quête pour sauver les âmes : sa sœur qui accepte un mariage odieux pour sauver la famille de la pauvreté, Sonia, jeune prostituée au cœur vierge, le fonctionnaire Marmeladov que l'alcool pousse à la déchéance…  On le voit sur scène, happé par une tourmente égale à celle qui agite sa conscience : une conscience qui l'obligera à se dénoncer et accepter sa culpabilité et le jugement des autres.

En face de lui, le juge Porphire, pétri de ruse et d'intelligence qui lentement distille les mots qu'il faut pour pousser le jeune étudiant à avouer. D'abord en arrêtant un innocent, un exalté de Dieu, ensuite en lui faisant toucher du doigt le dilemme où il est enfermé : son acte restera à tout jamais un crime crapuleux, pour qu'il devienne un acte politique et que soient mises à jour ses nobles motivations, le meurtrier est obligé de se dénoncer.

Pas de décor, sinon quelques meubles et accessoires qui suffisent à situer les différents lieux, et des costumes d'époque, qui renvoient du moins à la Russie, sans que ceux-ci soient d'une pertinence nécessaire. Tout le spectacle repose sur les neuf comédiennes et comédiens, leurs capacités à plonger en une fraction de seconde dans la peau de leurs personnages, seule façon d'emporter le public dans l'histoire. A ce jeu, Morgan Perez, Serge Leley, Laurence Guillermaz et Laurent Le Doyen incarnent chacun des personnages d'une exaltation fascinante. Thibaut Wacksmann dans le rôle de Raskolnikov reste parfois trop en observateur alors que son corps, son cœur et son âme devrait être en constante fusion. Dounia, la sœur du héros interprétée par Noémie Daliès, reste un peu trop sage.

Mais le texte, la vérité et la modernité de Dostoievski nous parviennent, nous touchent et nous avalent.

Bruno Fougniès

 

Crime et châtiment

D'après le roman de Fiodor Dostoïevski
Adaptation et mise en scène Virgil Tanase

Avec

Serge Le Lay, Thibaut Wacksmann, Arthur Toullet, Morgan Perez, Laurence Guillermaz, Liana Fulga, Noémie Daliès, Laurent Le Doyen, Barbara Grau

Costumes Doïna Levintza