Photo Claude Bourbon

Si l'oiseau vole avec ses ailes, l'homme le fait par son imagination.

Écrite en 1995, la pièce de Hristo Boytchev a reçu à Londres deux ans plus tard le Grand Prix de dramaturgie contemporaine du British Council.

Depuis elle n'a cessé d'être jouée dans le monde entier.

La Compagnie des 2 lunes s'en est emparée sous la houlette de Maryan Liver, metteur en scène, et avec quel talent !

Elle a pleinement su restituer toute la force et la légèreté de l'œuvre originale, sa gravité  et sa poésie et  la douce folie d'un univers à la Dostoïevski.

Dans des rôles très typés, les interprètes choisis se révèlent extraordinairement crédibles, avec un Mathias Kellermann tout en sensibilité, émotion à fleur de peau, un Michael Msihid étonnant docteur, un Ludovic Lemarchand d'une émouvante drôlerie, et les autres, Sébastien Peyrucq, Julien Aulon, Clotilde Castaing-Debat, Emile Feltesse et Julien Antonini, tous d'une perfection qui sublime leurs rôles.

Cette fable politique et humaine, démonte avec un humour corrosif  les mécanismes du pouvoir, nous parle de différences, de tolérance, d'utopie et finalement  de nous.

« Ici, les gens n'étaient pas divisés en fous et normaux, mais en chrétiens et musulmans. La vie trouve toujours un moyen pour diviser les gens. »

Car ces fous touchent à l'universalité, à nos peurs, à notre capacité d'invention, en parfait miroir de nos questionnements.

Dans leur monde à part où les échos de l'Histoire nous parviennent par bribes, ils vont réussir à faire du vrai avec du faux, à donner réalité à leurs rêves.

Contrastant avec le pragmatisme des politiques et à l'heure où l'Europe peine tant à se construire vraiment,  ils affirment avec force qu'il ne faut pas craindre de rêver pour agir.

Tout repose ici sur l'interprétation et la mise en scène, pas de décor, rien pour nous distraire, tout est concentré sur ce qui se dit et ce qui se fait. Ou qui est simplement suggéré.

Et on se laisse embarquer. Et on rit car c'est bourré d'humour. Et c'est en même temps d'une force terrible qui nous bouleverse et nous émeut.

On ne sort pas indemne d'un tel spectacle qui pose les questions sans donner de réponses.

« Messieurs, mademoiselle ! Vous n'êtes pas des fous ! Vous êtes seulement différents des autres !
Vous n'êtes simplement pas faits pour ce monde, car ce monde est créé pour les gens identiques.
Cependant notre monde à nous existe quelque part et nous nous devons d'y croire ».

Oui c'était vraiment une soirée exceptionnelle dans les deux sens du terme : occasionnel (malheureusement) et remarquable.

Nicole Bourbon

Photo Claude Bourbon

Colonel Oiseau

de Hristo Boytchev
Mise en scène : Maryan Livet

Avec : Julien Antonini, Julien Aulon, Clotilde Castaing-Debat, Émile Feltesse, Mathias Kellermann, Ludovic Lemarchand, Michaël Msihid, Sébastien Peyrucq