Entête

CARTE NOIRE NOMMÉE DÉSIR

 

Théâtre de l’Odéon
1 Rue André Suares
75017 Paris

Jusqu’au 17 Décembre 2023
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h

 

Carte noire nommée désir loupe

 

 

Le titre de la pièce Carte noire nommée désir est une référence à la publicité du café Carte Noire, datant des années 90, publicité associant un produit de la colonisation, aux peuples noirs, colonisés. Toujours associés à des aliments ou boissons noires – comme le café ou encore le chocolat – les fantasmes autour du corps de la femme noire sont infusés dans la société depuis toujours.

Rebecca Chaillon, en utilisant cette référence comme titre de sa pièce, révèle déjà une forme de révolte face à ces stéréotypes, ces croyances occidentales qui résultent d’années de dominations coloniales de l’occident sur les populations noires et plus précisément, sur la femme noire au sein de la société.

Dans sa pièce, Rebecca Chaillon met en scène plusieurs schémas répétitifs intergénérationnels et stéréotypes visant les femmes afro-descendantes à travers une répartition de l’espace lourde de sens. En effet, elle propose une disposition en bifrontal avec un côté réservé aux femmes afro-descendantes, dans lequel elles bénéficient d’un certain confort que l’on pourrait qualifier de privilège, puis un autre pour les spectateurs placés dans les gradins. Cela nous donne un aperçu de ce que pourrait être le monde si les rôles étaient inversés. Autrement dit, les privilèges toujours accordés aux blancs, seraient ici accordés aux femmes racisées, une façon de déconstruire le rapport de domination sans les dominants. Il est important de souligner la différence de point de vue révélée par cette séparation du public qui met en avant le partage d’une expérience en communauté et qui favorise une légitimation et une reconnaissance de la condition des femmes racisées.

Rebecca Chaillon travaille sur la présence du corps au plateau et sur la façon de l’exploiter comme moyen d’expression en s’inspirant du travail de plusieurs artistes comme Marina Abramovic, performeuse serbe, qui travaille elle aussi sur la question de l’art corporel. Dans Carte noire nommée désir, Rebecca Chaillon fait du corps un élément central de la pièce, une façon pour les comédiennes de se le réapproprier.

Nous pouvons découper la pièce en plusieurs parties bien distinctes représentant chacune une situation ou un phénomène auquel les femmes afro-descendantes sont confrontées au quotidien. Par exemple la sexualisation du corps de la femme noire, les charges mentales et l’instrumentalisation des femmes racisées représentée par Fatou Siby, les assimilations au chocolat et à l’excrément, la normalisation d’insultes racistes, les effets de la colonisation, la représentation des fantômes familiaux, cette généalogie qui fait perpétuer ces phénomènes à travers le temps. La performance occupe une place dominante dans cette pièce, notamment à travers les actions répétées jusqu’à l’épuisement qu’elle met en scène au plateau durant les premières minutes de la pièce, ou encore la scène de masturbation etc.

Durant les premières minutes de la pièce, un silence presque angoissant est présent, jusqu’à ce que Rebecca Chaillon prenne la parole. Cependant, cette angoisse, ce sentiment de tension reste présent de la première à la dernière seconde de la représentation mais ne se ressent pas de la même manière au début et à la fin de la pièce. Comme si plus les secondes passaient, plus cet inconfort devenait de plus en plus intense. Ce sentiment d’inconfort commun est important à souligner. Cet inconfort vise à une remise en question et une atteinte commune plus que personnelle. Le message fort que font passer ces femmes qui représentent leur vie quotidienne au plateau a une visée collective plus que personnelle.

La seconde chose que nous pouvons souligner est la nudité dans la pièce. Comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, le corps est un élément central de la pièce, ce qui est aussi le cas de la nudité, qui, d’une certaine manière, a pour effet de normaliser le corps de la femme noire. Cette nudité déconstruit la sexualisation dont le corps de la femme noire est victime, comme si elle en reprenait le contrôle d’elle-même, elle transforme cette chose qui autrefois était une faiblesse en un pouvoir sur ses dominants.

Une immersion du public dans la pièce à travers les odeurs et les sensations créées par la scénographie et les lumières est à souligner. Celle-ci est particulièrement réussie, lorsque l’on sort de la salle, après avoir vu cette pièce, nous ne sommes plus la même personne que 2h40 plus tôt. Cette pièce nous pousse à la réflexion par sa dimension directe, à la remise en question de notre comportement avec les personnes qui nous entourent. Les choses sont dites, certes crument, mais dites. La violence reçue par les femmes afro-descendantes est réelle et Rebecca Chaillon représente cette violence au plateau de façon admirable. Elle devient un modèle d’expression. Lorsqu’une représentation telle que Carte noire nommée désir prend fin, on ressent le besoin vital de crier ses maux au monde entier, et c’est sûrement aussi l’effet recherché : libérer ces sujets tabous que sont les violences que les personnes racisées vivent au quotidien.

Finalement, on se rend compte, après réflexion, que d’une certaine manière, ce genre de représentation ne prend jamais fin puisqu’elles continuent à faire écho en nous, elles deviennent perpétuelles.

Rania Abdous, Hypokhâgne du Lycée Jean-Jaurès, Montreuil 93100

 

Carte noire nommée désir

Écriture et mise en scène : Rebecca Chaillon
Dramaturgie : Céline Champinot
Scénographie : Camille Riquier Shehrazad Dermé
Création sonore :  Elisa Monteil
Régie son : Issa Gouchène
Régie générale, plateau : Suzanne Péchenart
Création lumière : Myriam Adjalle
Collaboration artistique : Aurore Déon Suzanne Péchenart
Assistanat à la mise en scène : Olivia Mabounga Jojo Armaing

Avec: Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband, Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Davide-Christelle Sanvee, Fatou Siby