VOYZECK, LA MORT DE DANTON, LÉONCE ET LÉNA

Au Théâtre de la Ville
2 Place du Châtelet
75004 - Paris
01.42.74.22.77
du 16 au 25 janvier 2013, 19h

L'intégrale de Büchner. Trois pièces et un seul spectacle.

Woyzeck, pièce inachevée et fragmentaire considérée comme la première pièce de notre théâtre contemporain, La mort de Danton, pièce historique écrite trente ans après la terreur et Léonce et Léna (que Büchner a écrit pour participer à un concours) conte comique, sarcastique et pamphlétaire sur le pouvoir royal. Trois pièces, trois univers, trois genres : un fait divers violent et révolté, un drame historique documenté et rigoureux, une comédie romantique et fantaisiste.

« L'unité a commencé à apparaître au moment où on a abordé concrètement la question de l'espace. En travaillant sur la scénographie, on arrive à une première hypothèse qui consisterait à construire une scénographie unique mais évolutive l'évolution d'un même lieu à travers l'histoire. »

Ludovic Lagarde maitrise parfaitement la difficulté de sa tâche. Il a construit sur scène une boîte à l'intérieur de laquelle va se jouer toute l'œuvre de Büchner, une boîte décorée comme un immeuble bourgeois aux murs crème recouverts de boiseries et de rosaces, boîte doublée d'un second plan derrière une cloison en plastique transparent (lieu où vont se jouer les scènes extérieures de Voyzeck et les scènes d'allocution du roi au peuple dans Léonce et Léna). Il a donc fait des choix artistiques précis. D'ailleurs tout est voulu dans ce spectacle : des comédiens équipés de micros ce qui provoque une sorte d'éloignement, un peu comme le fait un film doublé, des effets de réverbération sonores qui accentuent encore ce sentiment d'assister à quelque chose d'artificiel et en écho, une volonté de montrer à vue les changements de décors et les changements de scènes ce qui rythme et saccade le spectacle, un Voyzeck (interprété par Laurent Poitrenaux) s'exprimant et se déplaçant comme un être atteint de débilité ou un simple d'esprit et non comme un analphabète, inculte, un homme tourmenté par l'ordre qu'on tente de lui inculquer et par le roulement de la vie, un capitaine (Juan Cocho qui interprète avec le même phrasé, Robespierre dans Danton) qui murmure toutes ses répliques comme de monocordes monologues, et aussi ce motif répétitif d'habillage et déshabillage et de rhabillage à laquelle dans les trois pièces les comédiens se plient, allant parfois jusqu'au nu lointain et accessoire, ce son encore qui fluctue suivant les interprètes plus ou moins repris par les haut-parleurs, plus ou moins déformés par des effets de réverb et de métallisation, ces quelques musiques, ces quelques ambiances, ces quelques geignement d'enfants qui tombent du plafond de la salle de manière étrange, cette volonté de suivre le texte au mot à mot (d'accentuer le texte presque à chaque mot en ce qui concerne les personnages de Voyzeck et de Danton), et de façon générale, ce choix de jouer les mots du texte plus que la situation, de les surligner par des pas de danses lorsqu'il est question de danser et encore des déshabillages lorsqu'il s'agit de lèvres ou de jouissance. C'est un choix, voulu, pesé, assumé.

Evidemment la contrainte de ce lourd décor presque unique a obligé Laurent Lagarde à certaines coupes dans le texte de Büchner, et certains arrangements aussi avec les scènes originales : ainsi pour Voyseck toute la ville de garnison, sa frénésie et sa folie sont absentes ce qui fait que seul Voyseck paraît fou dans cette galerie de personnages. Ainsi, également, les coupes dans les scènes de rue, les scènes à la convention, au club des jacobins etc. dans Danton, rétrécissent les discours de Robespierre et de Danton à des répétitions en chambre et des monologues et ne rend pas compte de la violence et de la souffrance du monde autour d'eux : c'est un huit-clos en chambre.

Mais tout ceci est voulu. On perçoit tout le travail, l'énergie, l'imaginaire qu'il a fallu fournir pour arriver à monter cette trilogie, l'intégrale de Büchner ou presque.

Si une chose ressort pourtant, éclatante, de ce spectacle, et c'est là un objectif atteint par Laurent Lagarde, c'est la mystérieuse modernité de ces textes. Tout parle à notre époque, tout est en phase avec le contemporain, rien de vieillot, rien de compassé, le verbe de Büchner, incisif, désarticulé parfois, nous parle sans intermédiaire et sa jeunesse, sa révolte et ses peurs nous touchent toujours de plein fouet.

Peut-être alors nous manque-t-il présent sur le plateau, l'ombre de Georg Büchner attablé à son texte ou allongé dans son lit, une ombre traversée, tourmentée, violentée par ces humains, ces personnages et ces âmes et ces corps, qui s'agitent comme des fantômes dans son esprit.

 

Bruno Fougnies

 

 

Voyzeck, La mort de Danton, Léonce et Léna

Textes de Georg Büchner, traduction de Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil
Mise en scène de Ludovic Lagarde
Dramaturgie de Marion Stoufflet en collaboration avec Olivier Cadiot et Dorothea Heinz
Scénographie d'Antoine Vasseur
Lumières de Sébastien Michaud
Costumes de Fanny Brouste
Conception son de David Bichindaritz
Vidéo de Jonathan Michel
Collaboration artistique de Stéfany Ganachaud
Assistanat à la mise en scène de Céline Gaudier
Assistanat à la scénographie de Élodie Dauguet
Production de la Comédie de Reims, centre dramatique national

Avec :
Julien Allouf, Joris Avodo, Juan Cocho, Servane Ducorps, Constance Larrieu, Déborah Marique, Laurent Poitrenaux, Samuel Réhault, Julien Storini, Christèle Tual

 

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