Nicolas Lambert

« Bleu, Blanc, Rouge », c'est le nom de la trilogie politico-théâtrale pensée par Nicolas Lambert. Les deux premiers volets présentés au Grand Parquet – le troisième est en cours de préparation – sont le résultat d'un travail colossal de documentation, de compilation d'informations du créateur de ces spectacles qui n'hésite pas à lever le voile sur des « produits du terroir » peu glorieux.

 

Elf, la pompe Afrique

« Bleu », le pétrole. Elf la Pompe Afrique (2004) relate l'interminable procès qui a mis en cause le grand groupe pétrolier au fonctionnement « occulte » créé par le Général de Gaulle pour garder la mainmise sur les anciennes colonies africaines, et approuvé, ou du moins pas frontalement désapprouvé, par ses successeurs. Ainsi, l'argent d'Elf servait à alimenter des caisses noires, des commissions étaient versées à des hommes politiques français et l'argent africain était détourné. L'affaire Elf, ce sont quatre mois d'audience en 2003. Ce sont les mises en examen des dirigeants du groupe et des intermédiaires : Loïk Le Floch Prigent, président d'Elf de 1989 à 1993, Alfred Sirven, directeur des affaires générales, André Tarallo, « Monsieur Afrique », André Guelfi, « Dédé la Sardine » sont accusés de détournement et d'abus de biens sociaux, de recel et recel aggravé. Nicolas Lambert a assisté à l'intégralité du procès et recompose l'histoire grâce à des bribes de celui-ci. Des prévenus déjà mentionnés au magistrat, il interprète tous les rôles. Et il les interprète vraiment. Il est impressionnant de voir à quel point son visage, sa posture, son intonation changent : il est le magistrat ironique et cynique, il est un Sirven exubérant à l'accent du Sud, un Le Floch Prigent un brin repenti, ainsi qu'un Tarallo en vieillard ne sachant trop comment se défendre.

 

Avenir radieux, une fission française

« Blanc », l'énergie nucléaire. Le texte d'Avenir radieux, une fission française (2011) compile de nombreuses sources, et balaie l'histoire du nucléaire depuis 1945, année de la création du CEA par le Général de Gaulle en vue de créer l'arme atomique, à nos jours. Hommes politiques, ingénieurs et « esclaves de l'atome » ont la parole. Nicolas Lambert s'appuie sur des extraits du débat public organisé en 2010 à Penly en Seine Maritime pour la construction d'une deuxième centrale nucléaire «EPR » (alors que la décision avait déjà été prise par le gouvernement). Il se base aussi beaucoup sur les propos de Pierre Guillaumat, successivement ministre délégué auprès du premier ministre, chargé de l'énergie atomique, de la recherche et de la fonction publique au début des années soixante puis président d'EDF en 1965-1966 et P.D.G d'Elf de 1967 à 1977. En interprétant et caricaturant une galerie impressionnante de personnages avec un talent d'imitateur incontestable ainsi qu'une remarquable énergie, Nicolas Lambert pointe les incohérences, les absurdités, les non-dits de l'industrie nucléaire française, les volte-face politiques comme celle du président Mitterrand en 1981 qui n'organisera jamais le référendum promis lors de sa campagne.

Sous nos yeux, pendant environ deux heures dans les deux cas, il nous dévoile les ficelles du pouvoir, ses coulisses : corruption, manipulation. Dans ce théâtre du monde, les masques tombent. C'est didactique sans jamais être rébarbatif : pas besoin d'être érudit sur les questions abordées. C'est passionnant : la salle, comble, n'en perd pas une miette. C'est engagé, un vrai théâtre citoyen qui arrive quand même à nous faire sourire, ou rire, mais toujours avec consternation, révolte et indignation.

Saluons le travail remarquable fait autour de la musique, plus présente dans Avenir radieux, qui joue un vrai rôle de « liant », conférant une belle unité à la pièce et adoucissant certainement les mœurs.

Un immense bravo à Nicolas Lambert pour réussir à mêler art de la scène et conscience politique avec autant de talent. Le troisième volet, « Rouge », sur l'Armement prévu pour 2015 se fait déjà attendre impatiemment.

Ivanne Galant

 

Elf, la pompe Afrique
Avenir radieux, une fission française

De et par Nicolas Lambert
Compagnie Un pas de côté
Musique : Hélène Billard (violoncelle) en alternance avec Eric Chalan (contrebasse)
Collaboration artistique : Erwan Temple
Création musicale : Éric Chalan
Direction d'acteur : Nathalie Demnard- Brucher