Hélas!
«Hélas», soupire Antiochius, jetant ainsi pour la dernière réplique ce mot qui revient comme un leitmotiv tout au long de la pièce.
"Hélas" pourrions nous dire aussi.
Dans la préface, Racine écrit vouloir «faire quelque chose à partir de rien». En effet, tout est déjà joué dès le début et aucun retournement de situation n'interviendra. Bien que Titus aime Bérénice et que Bérénice aime Titus, la raison détat lemporte, qui veut quun empereur romain ne puisse épouser une reine étrangère, ceci sous le regard d'Antiochus, roi de Comagène, compagnon de route de l'Empereur, et, depuis cinq ans, amoureux transi et silencieux
de Bérénice.
Dans cette plainte à trois voix, il n'y a ni horreur, ni fureur. Pas de violence, pas de sang versé. Que des larmes. Tout repose donc sur les comédiens, seuls capables de transposer ou non la charge émotionnelle présente chez Racine.
Cela pourtant commençait bien: la scénographie de Gilles Taschet est sobre : point de fioriture, juste un plancher de bois sombre, un fauteuil et de très hauts panneaux de bois, qui dissimulent cour et jardin. Entre les portes monumentales donnant l'une sur Rome l'autre sur les appartements de la reine, une belle idée, pleine de poésie : une flaque d'eau qui projette un étrange reflet sur le fronton. Les gouttes qui y cliquètent rythment les changements d'acte marquant de ses vacillants reflets (magnifiques lumières
de Marie Nicolas) le passage du temps.
Et puis la pièce commence. Dès la première scène, la salle est perturbée. Antiochus et son serviteur ne "collent" pas à leurs rôles. Arsace bafouille, et Hammou Graia campe un Antiochus colérique, rageur, il gronde, éructe, à lexcès, loin de la vision de l'homme résigné et esseulé par amour que peint Racine. Plus proche du fou que du prince, cette interprétation décalée, à la limite du boulevard parfois, va jusquà provoquer (est-ce voulu ?) le rire dans la salle, un comble dans une tragédie!
Patrick Catalifo dans le rôle de Titus est peu convaincant. Avec un jeu presque trop désinvolte, il ne peut faire croire à sa passion amoureuse, puisque jamais il ne laisse paraître dans son jeu la moindre tendresse pour Bérénice, peu aidé il faut l'avouer par son costume qui fait plus penser à un pyjama qu'à la tenue majestueuse d'un empereur. Il joue à contretemps. Ce faux rythme le rend fragile ; les cheveux emmêlés, il semble sortir d'une nuit agitée. Bref, il n'a rien d'impérial.
Reste Bérénice incarnée par Marie-Sophie Ferdane, toute neuve pensionnaire de la Comédie-Française.
Peu convaincante au début de la pièce, d'un port altier dans la superbe robe orange qu'a dessinée Patrick Dutertre, elle ne parvient pas à sortir de son texte pour laisser parler ce cur si ardent chez Bérénice. Tendue à lextrême, figée dans sa robe orangée, elle déclame à la perfection mais sans jamais parvenir à toucher.
Et puis peu à peu, son personnage l'habite et l'émotion arrive enfin. Elle parvient alors à imposer une princesse blessée, sublime, disant les vers raciniens avec une liberté et une grâce fiévreuses, une grande puissance émotionnelle, une intense sobriété et une tristesse majestueuse.
Les costumes ont été habilement travaillés: de cuir ou de peau, beige, blanc éclatant, et saumon, parfois trop grands pour eux, ils sont très beaux
hormis curieusement celui de Titus comme dit plus haut.
La mise en scène de Jean-Louis Martinelli est sobre. Belle scène que celle où Bérénice vient mirer son image tourmentée dans la flaque d'eau en dévoilant ses doutes dans un clair-obscur splendide.
Mais quel dommage qu'il ait pris le parti de faire jouer ses comédiens sur le registre de la colère, faisant oublier toutes les nuances du cur. C'est vrai, nous percevons distinctement les alexandrins, on entend presque glisser les vers dits avec rigueur, mais clarté et simplicité. Même les diérèses ou les « e » finaux sont marqués avec le plus grand naturel, restituant parfaitement la musique racinienne.
Mais si léclairage politique est loin dêtre inintéressant, pour autant on se demande que deviennent les amants derrière cette animosité omniprésente ? Chacun sentretient sans s'approcher. Même pour des aveux déchirants et d'une intime profondeur, ils se tiennent toujours loin l'un de l'autre, chacun retranché dans son camp. La distance imposée par la mise en scène ne permet pas de recréer les liens intenses existants entre les personnages. Pratiquement leur unique jeu de scène consiste à s'éloigner pour
vite revenir sur leurs pas, une fois, deux fois, plus, cela devient systématique et lassant.
Bref, on a du mal à croire à la passion de Bérénice pour un homme qui ait aussi peu de charisme et on reste sur sa faim devant tant de désincarnation et si peu de générosité.
C'est pourquoi pour qualifier cette représentation, on ne peut trouver mot plus approprié que ce brûlant "hélas" dont les trois personnages s'emparent à tour de rôle.
En savoir plus
http://www.theatre-contemporain.net/biographies/Jean-Louis-Martinelli/scenes/
|