Saluons d'abord un projet alléchant et ambitieux, pour une production qui ne l'est pas moins et dans un théâtre qui ne lésine pas sur les moyens. Il fallait au moins ça pour prendre la mesure du livre de James Ellroy : une sombre mais épique plongée dans les États-Unis de la fin des années 1950, qui raconte les règlements de comptes, les collusions avec les syndicats du crime et autres trahisons qui agitent les (très) bas-fonds de la politique américaine. « L'Amérique n'a jamais été innocente » souligne en effet Ellroy, mêlant intrigue et réalité pour reconstituer les manigances sans scrupules du FBI de Hoover consorts pendant qu'émergent petit à petit le sourire hypocritement parfait et le brushing impeccablement faux affichés par des Kennedy décidément plus cyniques que mythiques.

Comment, toutefois, donner à voir en moins de deux heures ce roman feuilleton moderne qui compte 750 pages et dont le style brutal est celui d'un polar ? Ainsi que Nicolas Bigards le reconnaît lui-même, l'ouvrage de James Ellroy est d'« une écriture très cinématographique » – et l'on sait d'ailleurs que James Franco est actuellement en train d'en finaliser une version pour le cinéma.

Le théâtre a ses propres exigences et, en l'occurrence, l'adaptation proposée ne convainc pas. Il a manifestement fallu faire de trop lourds compromis afin de sauver l'intelligibilité de la trame des événements. C'est ainsi que de nombreux passages narratifs sont lus, souvent sous la forme d'un récit journalistique qui s'efforce de maintenir en haleine la salle. Hélas, la dramaturgie en ressort figée, presque embourbée : pour compenser l'inaction de ce qui se passe effectivement sur la scène, les personnages déambulent, dansent, s'offrent une partie de badminton ou de billard comme si, perdus dans cette histoire et sur la grande salle de la MC93, ils cherchaient à s'occuper. Ces gesticulations cherchent-elles à tromper leur ennui ou celui du spectateur ?

Le talent de mise en scène de Nicolas Bigards n'est évidemment pas en cause, pas plus que le travail des comédiens, parmi lesquels se distingue Jan Hammenecker qui interprète l'inquiétant

Pete Bondurant avec beaucoup de présence. Restent surtout des sensations qui créent une atmosphère, faite de noirceur et de violence… même si, paradoxalement, celle-ci est peut-être moins portée par l'action et les dialogues que par la voix rockeuse de Béatrice Demi Mondaine et par la musique de Théo Hakola.

Frédéric Manzini

 

American Tabloïd
De James Ellroy

Traduction : Freddy Michalski
Adaptation : Stéphanie Cléau, Nicolas Bigards
Mise en scène : Nicolas Bigards
Traduction : Freddy Michalsky
Scénographie : Chantal de La Coste
Collaboration artistique : Christelle Carlier
Conseiller littéraire : Jake Lamar
Musique : Théo Hakola

Avec : Yann Berlier, Thomas Blanchard, Clément Bresson, Yannick Choirat, Béatrice Demi Mondaine, Dimi Dero, Noémie Dujardin, Théo Hakola, Jan Hammenecker, Judith Henry, Mathieu Saccusi, Gabriel Tamalet, Pascal Ternisien