À TOI POUR TOUJOURS, TA MARIE-LOU
Au Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris.
tél. : 01 45 44 57 34
Du 15 mai au 6 juillet à 19h. Du mardi eu samedi.
Photo Étienne de Giovani
Écrite en 1971, cette pièce est caractéristique de l'œuvre de Michel Tremblay, comme « Les belles-sœurs » ou d'autres. Elle stigmatise la morale contraignante (catholique ici) qui lie des couples pour la vie. Et pour leur plus grand malheur. Dans cette cuisine d'ouvrier, nous découvrons un couple qui se dispute : elle tricote de façon méthodique et râleuse, lui cuve sa bière. Il se débat dans ce procès qu'elle lui fait. Il s'enflamme, grogne, se vante, se tait. Entre eux, deux jeunes femmes, les filles : une, Manon est restée à la maison, un peu comme une gardienne du temple. Elle est confite en religion (comme sa mère) ne connaît pas grand-chose de la vie et surtout, voue une haine féroce à son père. L'autre, c'est Carmen, en tenue de cowgirl. Elle s'est émancipée, elle, a quitté la famille pour aller, non pas « faire la putain dans la rue St-Laurent », mais chanter des chansons de cow-boy au cabaret de la ville. On comprend assez vite que ces temps sont différents : les deux parents sont morts et les filles se souviennent. Elles évoquent des souvenirs lointains, mais pas seulement. Elles règlent de vieux comptes, elles aussi.
Mise en scène frontale, avec un dispositif efficace : seule Carmen bouge. Elle marche ; elle paraît danser. Les autres, pour l'essentiel, sont rivés qui à son fauteuil, qui à sa table, qui à son tricot. Avec brio, Tremblay fait un portrait au noir de cette famille-là, parmi d'autres : avec la promiscuité, c'est la mesquinerie qui règne, l'incompréhension, l'incommunicabilité. Le père, les filles, ont les maux, sans avoir forcément les mots pour le dire. Et puis d'insulte en insulte, le père parle. C'est long à venir mais il finit par étaler sa pauvre vie, l'alcool dont il ne peut se passer, une partie de sa famille qui a sombré dans la folie, sa crainte d'être concerné à son tour. Mais c'est la mère qui nous émeut le plus en livrant sa part de vérité : l'éducation stricte, la délivrance que représente le fait de quitter sa famille pour en fonder une autre. Les enfants qui s'enclenchent, la misère affective, ce désespoir qui lui fait dire qu'elle va avoir un bébé, un autre, mais qu'il sera pour elle seule.
De ce texte écrit en « joual » ou français du Québec, les comédiens font un spectacle prenant. Ils ne forcent pas sur l'accent : une inflexion, une expression suffit. Nous sommes là-bas, très loin, dans la « belle province ». On entend évoquer le beurre de peanut crunchy ou smoothy, ou dire « je m'en sacre » pour « je m'en moque » ou « de même » à la place de « comme ça ». Climat et personnages très typés mais qui touchent à l'universel.
Dominant la distribution, Cécile Magnet joue le rôle de la mère, la Marie-Lou du titre. Yves Collignon est un père plus nuancé, barricadé dans sa fierté et sa souffrance. Et chacune des deux filles, Marie Mainchain et Sophie Parel dépasse facilement la caricature pour arriver au simplement humain. Une pièce à voir, donc.
Gérard NOEL
À toi pour toujours, ta Marie-Lou
Avec Yves Collignon, Marie Mainchain, Sophie Parel, Cécile Magnet.
Mise en scène et adaptation : Christian Bordeleau.
Assistante : Emilie Schnitzler.
Création lumières : Christian Mazubert.