SES FEMMES

Auditorium de l'Opéra de Massy
1, place de France
91300 Massy

Vendredi 4 Octobre à 20h30.

Merci de cliquer sur J'aime
Mis en ligne le 10 octobre 2013
Ses femmes

"Ses femmes" aurait pu être une superbe docu-fiction théâtrale sur la vie intime de Victor Hugo, romantique s'il en est ; au lieu de cela, on ressort de la salle avec un goût amer d'inachevé après ce qui ressemble davantage à un vaudeville exhibitionniste vulgaire.

Evidemment, tout n'est pas à jeter, loin s'en faut, mais l'angle d'approche affiché par l'auteur renvoie une vision sexiste (et non pas féministe) des rapports qu'entretiennent quatre femmes modernes avec une icône littéraire et artistique du XIXème siècle.

Ce remake est séduisant sur le papier si on a dans l'idée un anachronisme maîtrisé, mais ici on vit un vrai choc temporel des cultures entre le romantisme servant de référence à la pièce et l'individualisme qui nous est finalement proposé sur scène.

Chacune des quatre femmes qui entourent Victor désire ardemment se l'adjuger pour elle seule, tantôt en proie à la jalousie des autres, tantôt empreinte d'un égoïsme effréné. Rien n'y fait, le célèbre écrivain et dramaturge semble impossible à raisonner et seul le chantage affectif et la tentation sexuelle de ses maîtresses apparaissent efficaces pour capter son attention et faire passer le message d'une volonté d'exclusivité.

Notre société érige déjà la femme comme un symbole réducteur de beauté et de charme, on se serait attendu à mieux de la part d'une pièce censée être féministe que de projeter un peu plus l'image des femmes comme objet sexuel au service des hommes.

Bien sûr, il est très agréable pour un spectateur masculin de voir évoluer ainsi sur scène quatre jolies jeunes femmes aussi séduisantes les unes que les autres, avec des jambes fines et des silhouettes généreuses qui les rendent toutes sexy dans un style différent. Mais ce n'est pas ce que l'on attend en termes de spectacle d'ordre théâtral ! Les cris de jouissance, les moues séductrices et autres postures érotiques ne font pas tellement bien ressortir le jeu des comédiennes qui passent pour des allumeuses de bas étage au lieu d'exprimer leur vrai talent d'actrices.

Alice Mesnil tire néanmoins son épingle du jeu avec brio. Elle est captivante dans le rôle de Léopoldine, la fille adulée de Victor. Dès qu'elle intervient, elle s'accapare l'espace scénique et exerce une attraction magnétique sur le public qui se trouve happé, captivé. À chaque fois qu'elle s'exprime, on a vraiment l'impression qu'il y a Victor en face d'elle ; l'expression de son visage change spontanément au cours d'un monologue qui a l'air d'un dialogue avec son père pourtant absent de la scène.

Au contraire, la prestation de Leslie Ruiz dans le rôle de Louise Michel, jeune amante de Victor rencontrée récemment, fait plutôt penser à un one woman show dans le ton et dans la forme. Partie sur de bonnes bases, elle s'est affadie peu à peu jusqu'à devenir transparente aux yeux du public, théâtralement parlant.

Laure-Estelle Nézan n'avait pas la tâche facile avec le rôle de Juliette Drouet, ancienne amante jadis concurrente directe de feue la femme de Victor, désormais laissée pour compte, seule et éplorée. Elle n'a pas réussi à mettre en valeur son jeu à travers un personnage faible et manipulé que l'auteur a voulu exagérément séducteur, au préjudice de l'émotion qui aurait pu s'en dégager.

Mathilde Bourbin avait également un rôle fort dans cette pièce qu'elle a parfaitement égayée au gré de ses interventions animées. Son personnage de Sarah Bernhardt est haut en couleur avec les frasques et la démesure auxquelles on s'attend de la part d'une jeune comédienne à succès entretenant une liaison avec son modèle dramaturgique qui la tient en haleine en lui proposant un rôle dans une pièce. Partie elle aussi sur le ton de la séduction à outrance, elle a su se rétablir dans le jeu en montrant d'autres facettes de son personnage. Les quelques bafouillis observés n'enlèvent rien à sa bonne prestation.

Il faut saluer la mise en scène de Svetlana de Cayron qui est sobre mais de qualité. Le jeu d'ombres chinoises des comédiennes qui se changent tour à tour derrière des paravents faits de rideaux translucides donne beaucoup de poésie à la pièce. Cela tranche franchement avec la vulgarité affichée et assumée de certaines scènes. Dommage que la musique n'ait pas été en accord avec ces moments de pauses artistiques, tantôt sur le choix des chansons, tantôt sur la temporalité de leur déclenchement.

Le seul bémol est ce cercueil blanc qui trône au milieu de la scène et sert qui de chaise, qui de table, qui de lit. Sa présence dès le début de la pièce est anachronique puisque Victor n'est pas encore décédé. De même, il est à déplorer que la pièce se termine sur cette mort alors que c'est l'évènement sur lequel était censé se construire la trame de la pièce, sorte de réconciliation entre elles et avec « le poète qui aimait les femmes ».

Camille Grosjean

 

 

Ses femmes

Écriture : Hugo Le Guen
Mise en scène : Svetlana de Cayron
Son, lumières : Joris Parvaud
Production : Compagnie Théâtroscope

Avec Mathilde Bourbin, Alice Mesnil, Laure-Estelle Nézan et Leslie Ruiz