NINI, UNE FEMME LIBERÉE DANS UNE FRANCE OCCUPÉE |
Théâtre de l'Archipel
Cela commence comme une simple revue, … un numéro de chanteuse réaliste dans le cabaret « le Tire-Bouchon ». Sur la petite scène, tout est en place : les trois marches lumineuses, le rideau rutilant de paillettes et la chanteuse, toute de rouge vêtue, gouailleuse et pro. Cette femme, c'est Sandra Gabriel, à l'initiative du projet. Elle joue son spectacle non dans un imaginaire « Tire-Bouchon » mais à « l'Archipel », un cinéma qui offre aussi une scène pour des spectacles, souvent des one-man show. Et au bout de dix minutes ou un quart d'heure, la magie opère : c'est à dire qu'on est pris, happé, saisi. D'abord grâce au talent de l'interprète mais surtout parce qu'au lieu de reprendre les sempiternelles rengaines des années 40, elle innove. Des chansons ont été écrites spécialement et tout cela fonctionne. Comme fonctionne le récit que Nini, la vivante et virevoltante Nini nous fait de son enfance, de sa jeunesse, n'éludant rien et surtout pas ses mère et grand-mère. Alors qu'elle est « verticale », elles étaient toutes « horizontales », car se livrant à la prostitution. Avec des différences : « Quand j'fais la chose, moi, j'fais la morte ! » est ainsi le crédo de sa mère, passive dans l'amour tarifé. Après « les bonshommes », une chanson féroce sur les hommes, voici la prière (exaucée) de la petite Nini. Prière émouvante au possible, mais la vie reprend ses droits. Elle grandit et nous voici, comme elle, en 1943. C'est l'Occupation. On vit à l'heure allemande, de deux heures en avance. « Depuis qu'ils sont là, on vit dans le futur ! » note-t-elle. Et de citer Sacha Guitry, toujours à propos des occupants : « Puisqu'on ne peut pas les mettre dehors, essayons de les mettre dedans ! » L'autre grande force de ce spectacle, qui se théâtralise au fur et à mesure, et c'est un compliment, c'est l'utilisation du cinéma : des bandes, retravaillées, nous restituent une époque, des célébrités passées et surtout une belle histoire d'amour. Dans un noir et blanc élégant, voici Nini avec son officier allemand. Ils sont dans une chambre d'hôtel. Ils s'aiment. Ils se baladent dans Paris. Et on y croit. Nini évoque Alfredo, une « copine », qui lui dit ainsi : « T'as pas donné ton cœur au vaincu, t'a donné ton cul au vainqueur. » Et d'autres chansons arrivent ; d'autres tenues. Et l'émotion se faufile, mine de rien. Sans exagération, sans pathos, Sandra Gabriel fait exister complètement son personnage, personnage aux facettes multiples évidemment. Comme la vie. Chapeau à Gil Galliot, pour le texte et la mise en scène. Il a su, grâce à son interprète, mener l'entreprise à bien : on sort de là transporté, heureux et ne souhaitant qu'une chose, que la petite salle de l'Archipel soit pleine tous les soirs. Le spectacle le mérite.
Gérard Noël
Nini, une femme liberée dans une France occupée
Texte et mise en scène : Gilles Galliot Avec Sandra Gabriel.
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