LA FILLE À MARINS |
Au Théâtre Rive Gauche On connaît Jérôme Savary, depuis le temps : son univers coloré et joyeux, faussement bordélique, fonctionne bien, en général. Il a monté Brecht et Molière, assaisonné ses propres créations de provoc’ et de musique. Ici, il est, dirait-on au service de sa fille dont il tenait, visiblement, à mettre en valeur le sens de la scène et la voix dans un univers taillé sur mesure. Et, passé les premières minutes où, sur une estrade, un marin façon Gaultier se débat avec une pieuvre ( !) on commence à respirer : Nina Savary apparaît, chante une chanson, puis deux, le marin (l’excellent Julien Maurel) trouve ses marques et en route pour une heure et quart de voyage. Il y a les chansons qui sont autant de reprises (Susy Solidor, Germaine Montéro, …) l’humour parfois potache des textes : La sardine qui voulait aller en boîte, … Oui, bon ! Les enchaînements sont parfois tirés au câble. Ajoutons qu’il n’y a pas vraiment d’histoire, mais qui s’en plaindrait ? Non, on est heureux de voir les deux interprètes changer de costume, entamer des romances improbables sur fond d’amour et de fatalité. Même s’il y a parfois du changement pour le changement, on voudrait que certaines séquences durent juste un peu plus. En tout cas, c’est théâtral dans le bon sens du terme, Savary n’ayant jamais fait mystère de sa fascination pour la scène, ce qui s’y déroule, ce qu’on peut s’amuser à y faire exister : comme ça, pour le plaisir. Et le plaisir est là : dans le perroquet qui parle, dans la voix off de Savary lui-même. Dans les projections sur fond de scène, procédé qui, loin de desservir le propos, l’agrémente. On voyage, on s ‘évade, on revient ensuite, pile au moment où il le faut dans la réalité de la scène et du spectacle. On se révolte en écoutant rappeler ces 30 000 personnes jetées à la mer, d’un avion, sous la dictature argentine. On apprend le rituel des rouleaux de papier WC déroulés entre le bord et le quai, quand un navire s’éloigne. On se marre franchement en voyant Julien Maurel en Popeye, les muscles des avant-bras gonflés, qui s’avale une rasade d’épinards. Popeye the sailor man, tchou tchou ! Ici, Nina Savary est parfaite aussi en Olive Oil et accordons une mention spéciale au capitaine Poireau, clone du fameux Jack Sparrow, qui se bat si bien avec le légume précédemment cité ! En fin de spectacle, quoi de mieux que « la mer » de Charles Trenet pour se retourner une dernière fois sur le parcours marin que ce diable de Savary nous a concocté. Il va de soi que la présence quasi mythique de Roland Romanelli à l’accordéon est un gage de qualité. Il s’est fait, bien sûr, une tête de vieux loup de mer. Il jubile en balançant son instrument. Et nous aussi !
Gérard NOEL
La fille à marins Pièce de Jérôme Savary
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