HAÏM – à la lumière d’un violon |
Vingtième Théâtre Haïm Lipsky le bien nommé – son prénom signifie « vie » en hébreu – traverse l’espace et le temps pour monter, sans un mot et sans avoir été annoncé, sur la scène du Vingtième Théâtre à la fin du spectacle qui lui rend hommage, sous les yeux médusés des spectateurs dont certains, la gorge nouée par l’émotion, se demandent s’il s’agit du vrai Haïm. Le spectacle théâtral et musical, écrit et mis en scène par Gérald Garutti, déroule la vie de ce violoniste virtuose, de Lodz, sa ville natale, à la Terre Promise, en passant par le ghetto et l’enfer concentrationnaire d’Auschwitz. Sur le plateau la récitante, Anouk Grinberg, et quatre musiciens - le violoniste Naaman Sluchin, petit-fils de Haïm Lipsky qui interprète son grand-père, la pianiste Dana Ciocarlie et le duo klezmer les Mentsh, composé de l’accordéoniste Alexis Kune et du clarinettiste Samuel Maquin – retracent cette existence hors du commun en trois tableaux : Yiddishland, Shoah et Passage. Point de décor. Il eut été superflu. La force du texte, des interprètes inspirés, la voix d’Anouk Grinberg, tellement chargée d’émotion qu’elle semble à tout instant sur le point de se briser, la musique, et une mise en scène sobre et efficace, suffisent à recréer les tranches de la vie de Haïm Lipsky. Le texte, narratif, suit la chronologie de l’histoire, la grande et la petite, sans pathos, sans effet de style mais parsemé de petites perles comme : « A sa sortie d’Auschwitz, Haïm rejette le polonais pour ne plus parler que deux langues : le yiddish et le silence. » ; ou cette phrase : « trois familles, sept lits et rien à manger » qui résume, à la manière de l’ « Inventaire de Prévert la pauvreté et le dénuement des Juifs entassés dans le ghetto ; ou bien encore cette formule : « Haïm piétine de désir » pour traduire l’excitation de ce petit garçon, qui ne rêve que d’apprendre à jouer, lorsqu’il se retrouve sur le seuil de l’appartement d’un grand musicien ; ou aussi : « mais la beauté ne protège plus de rien. » Lorsqu’il fredonne les nigounim, musique vocale sans paroles, Naaman Sluchin irradie, il rayonne de la joie qui animait les Juifs lors des fêtes et du chabbat. Et la musique… Elément central, véritable fil conducteur, elle scande la vie de Haïm, alternant mélodies klezmer et morceaux classiques, portant, transportant le spectateur. Ah, le Concerto en mi mineur de Mendelssohn. A tomber à genoux, comme le fit Haïm Lipsky lorsqu’il entendit, un jour, les notes jaillir de la fenêtre d’un appartement. Dans mon esprit, il est associé à Yehudi Menuhin ; dorénavant, il sera également lié à l’image de Naaman Sluchin, transfiguré par la grâce. Quant à la mise en scène, elle est tout en finesse, dépouillée, sans fioritures mais tellement percutante et incisive. Le 1er septembre 1939, Hitler envahit la Pologne, c’est le début de la seconde guerre mondiale. Pour évoquer cette entrée dans l’ère de la barbarie nazie, point de bruit de bottes ou d’effets spectaculaires, juste un simple mouvement du violoniste qui tourne le dos aux spectateurs. Quand Haïm Lipsky, déporté, arrive à Auschwitz, les lumières s’éteignent, la clarinette pleure. Rescapé de la Shoah, il décide de partir pour la Terre Promise. Le nouvel état a besoin de bâtisseurs, pas de musiciens. On voit alors Haïm entonner l’Hatikva, l’hymne national, en se retroussant les manches : il deviendra alors électricien et ne sera jamais le violoniste professionnel qu’il avait rêvé d’être. Quelle revanche et quelle satisfaction pour cet homme de quatre-vingt-dix ans de voir que ses deux enfants et presque tous ses petits-enfants sont des musiciens internationaux ! « Haïm – à la lumière d’un violon » est un spectacle poignant, bouleversant, qui ne peut laisser indifférent.
Elishéva Zonabend
HAÏM – à la lumière d’un violon Auteur : Gérald Garutti
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