FUGUE
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris
01 46 07 34 50
Jusqu’au 24 janvier 2016
Les mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h30 et le dimanche à 16h00
Plantée dans une étendue blanche, avec en arrière-fond le décor somptueux des Bouffes du Nord, une bicoque où viennent se rencontrer ou plutôt s’entrecroiser les destins d’une femme (épatante Anne-Lise Heimburger) et de cinq hommes. Prétendument concernés par une expédition scientifique sur l’Antarctique, ils semblent surtout perdus dans leur infortune existentielle. Cherchent-ils à se fuir eux-mêmes dans cette « Fugue » ou bien celle-ci désigne-t-elle une forme musicale, que le metteur en scène redéfinit ainsi : « des voix indépendantes forment un ensemble, chacune pourchasse l’autre qui prend la fuite devant elle » ? Toujours est-il que ces six personnages en quête d’on ne sait quoi sont tantôt comédiens, tantôt musiciens ou chanteurs, selon les circonstances : parfois les notes jouent avec les mots et les illustrent, parfois elles prennent leur relais ou leur font écho, pour signifier les tourments intérieurs des uns ou pour magnifier les sentiments des autres, rendus plus aigus par la froidure et l’isolement qui renvoient chacun à sa solitude, voire à son néant.
Il y a assurément du Beckett dans ce théâtre-là, qui mêle constamment le désespoir et le second degré, l’absurde et l’ironie. Mais la dérision prend rapidement le pas sur le sérieux des discours. Le (désopilant) numéro de clown de Léo-Antonin Lutinier avec son physique à la Sacha Baron Cohen provoque de nombreux rires dans la salle et donne le ton à ce qui devient une pantalonnade, jusqu’à en étouffer peut-être la finesse des monologues finaux sur l’espace imaginaire ou l’aspiration à une vie plus rangée, dont on a presque du mal à entendre la beauté. Entre accords et désaccords, il est vrai que la mise en scène fonctionne sur les décalages permanents et exploite pleinement ces moments de ruptures, accentués par l’anachronisme des cantates baroques (par exemple « Sei nun wieder zufrieden » de Bach ou « Douleur me bat » de Josquin Des Prez) et la voix de haute-contre de Léo-Antonin Lutinier qui alternent avec les musiques originales composées par Florent Hubert, le tout interprété nu ou en anorak et masques de ski. Ce théâtre, propre à Samuel Achache mais issu d’une écriture collaborative, est d’une grande inventivité, chamarré, joyeux, potache, surprenant, spontané, plein de vie, fantaisie et de saveur. Il est promis à un grand succès.
Frédéric Manzini
Fugue
Mise en scène : Samuel Achache
Direction musicale : Florent Hubert
Collaboration artistique : Sarah Le Picard
Scénographie : Lisa Navarro et François Gaultier-Lafaye
Lumières : Vyara Stefanova et Maël Fabre
Costumes : Pauline Kieffer
Avec : Samuel Achache, Vladislav Galard, Anne-Lise Heimburger, Florent Hubert, Léo-Antonin Lutinier et Thibault Perriard
Mis en ligne le 7 janvier 2016