LE VIEUX JUIF BLONDE
Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 PARIS
01 42 65 90 00
Jusqu’au 6 janvier 2019
Du mercredi au samedi à 19h30
Le dimanche à 16h00
Critique de Bruno Fougniès
C’est un texte devenu une référence internationale en quelques années. Il y a beaucoup de raisons à cet engouement planétaire. L’idée est originale, presque loufoque à priori. Les mots, les rires et les gravités qu’il distille forment une toile d’une texture étrange. C’est comme une poudre-aux-yeux que l’on nous jette mais qui finalement touche là où l’on ne s’y attend pas.
Elle est une adolescente de notre époque mais elle est habitée par un vieux juif de 80 ans, un rescapé des déportations. Cela fait évidemment friction.
On pourrait la croire folle, c’est l’un des écueils, car on n’écoute pas les fous. Un péril qu’évite avec justesse Camille Razat qui interprète le rôle. Alors on la croit. Effectivement dans ce corps de jeune fille vit un vieil homme porteur d’une longue vie et d’une histoire bien trop capitale pour une gamine à peine adulte. Magie de l’art et du théâtre…
Au loin, en fil anecdotique, on suit les actes et les réactions de la famille confrontée à cette adolescente qui clame être un vieux juif : les visites chez le Psy, les heurts des pratiques religieuses (eux sont cathos), les repas de famille qui tournent au drame. Pourtant rien n’est au premier degré dans le texte d’Amanda Sthers. Tout est distance, dérision, il y a juste des égratignures insolentes qui donnent du sens, de temps en temps.
Le fond recèle une jolie colère. Bouillante. Et l’on découvre soudain dans ce personnage effronté, pertinent, et presque sans limite dans sa persuasion, on découvre toute la force et la réalité que l’adolescence recèle. On se rend compte que du plus haut neurone jusqu’à la plus futile trace de vernis à ongle sur le petit orteil, l’adolescence est une et multiple, capable du plus superficiel et du plus provocateur, du plus dérangeant comme du plus intègre. C’est cette force de bouleversement qui apparaît au cours de la pièce. Une force capable de regarder la réalité, de poser les mauvaises questions, d’exiger.
Camille Razat, le soir où je l’ai vue, perdait par moment de sa présence, mais tout le reste de son interprétation est sur le fil exact entre réalité et folie. La scénographie de Okarina Peter et Tomi Dentler regroupant au loin un bois de bouleau, la Pologne, et un sol en miroir couvert de pétales couleurs cendre rendent palpable l’innommable des camps. Et c’est une jolie lutte constante entre noirceur de l’histoire et vitalité de l’adolescence qui fait de ce spectacle un moment palpitant où la jubilation de dire explose et provoque les rires libérateurs.
Critique d’Elishéva Zonabend
Le Vieux Juif blonde est la première pièce d’Amanda Sthers. Elle a été créée en 2006 au Théâtre des Mathurins, dans une mise en scène de Jacques Weber, avec la comédienne Mélanie Thierry.
Douze ans après, c’est Camille Razat, jeune comédienne issue du Cours Florent, qui reprend le rôle titre dans ce même théâtre.
Si, avant d’aborder la pièce, vous vous posiez des questions sur l’étrangeté du titre, pour le moins incongru, eh bien vous en saisirez très vite le sens.
Car l’histoire est simple : Sophie, jolie jeune fille blonde de vingt ans, est persuadée qu’elle est un vieux juif de soixante-dix-sept ans, rescapé d’Auschwitz.
Bref, elle souffre d’un dédoublement de la personnalité.
À une autre époque, on aurait dit qu’elle était possédée.
Sans doute par un dibbouk qui est, dans la mythologie juive et kabbalistique de l’Europe de l’est, un esprit qui habite le corps d’un individu.
Sophie, elle, est convaincue qu’elle est Joseph Rosenblath, prisonnier d’une apparence qui trompe tout le monde, à commencer par ses parents.
Qui, de toute façon, ne peuvent pas être ses vrais parents, puisqu’ils mangent du porc, ne font pas Kippour et fêtent les Rameaux.
Et pendant plus d’une heure d’un long monologue jamais ennuyeux, elle va s’évertuer à nous faire partager son point de vue.
Et révéler cette jeune fille fragile avec ses blessures, ses traumatismes, qu’on devine – sentiment de n’être pas aimée, mort d’une petite sœur – même si on ne saura pas ce qui a pu provoquer sa « folie ».
À un moment, elle confie qu’elle a aimé comme une femme, un certain Julien, mais l’on comprend vite qu’il s’agit d’un amoureux qu’elle a imaginé, comme ces enfants qui s’inventent un ami virtuel.
Cette pièce est, paraît-il, étudiée à Harvard.
Sans doute son analyse en apprend beaucoup plus que ce que nous pouvons en saisir en tant que spectateur, mais une chose est sûre, ce qu’on entend, c’est un texte fort, d’une grande finesse psychologique, ponctué avec bonheur par la présence discrète d’un violoncelle, un texte dit et joué avec une grande sensibilité et une présence remarquable, surtout venant d’une comédienne qui fait là ses premiers pas sur scène.
La scénographie novatrice et originale d’Okarina Peter et Tomi Dentler, « sous le regard de Volker Schlöndorff », réalisateur majeur de la nouvelle vague allemande, est d’une pertinence qui mérite d’être soulignée. Ainsi, au lieu de situer la comédienne dans le lieu clos de sa chambre, comme cela avait été fait précédemment, ils imaginent un arrière-plan représentant une forêt de bouleaux dans un paysage enneigé évoquant la Pologne et ses camps, tandis qu’au sol un amoncellement de bouts de feuilles de papier découpées de couleur noire représentent les cendres des millions de juifs brûlés dans les camps d’extermination.
Le texte d’Amanda Sthers, l’interprétation éblouissante de Camille Razat, la scénographie et la mise en scène, avec l’accompagnement musical de Stanislas Makovsky – qui rappelle peut-être que l’usage de la musique était fréquent dans le système concentrationnaire nazi –, font de cette pièce une réussite.
Le Vieux Juif blonde
De : Amanda Sthers
Sous le regard de : Volker Schlöndorff
Avec : Camille Razat
Musique : Stanislav Makovsky
Scénographie : Okarina Peter et Tomi Dentler
Lumières : Kévin Daufresne
Mis en ligne le 11 octobre 2018