STABAT MATER FURIOSA
Festival Plein Feux sur la jeune création
TO Théâtre de l’Opprimé
78 Rue du Charolais
75012 Paris
01 43 40 44 44
Jusqu’au 9 octobre,
du mercredi au samedi à 21h00, dimanche à 17h00
Crédit visuel : Camille Angibaud
Avec quoi faire du théâtre ? Avec presque rien sinon du rare, du précieux, du vital. Stabat Mater Furiosa est de cette veine-là. Une comédienne, un texte et surtout l’envie incendiaire de dire.
« Je suis celle qui refuse de comprendre… » sont les premières paroles de ce spectacle.
Elle est femme, celle qui parle, mais pas d’artifices vestimentaires identifiables. Au contraire : un pantalon gris large, une chemise blanche, manches retroussées, cheveux regroupés sur la nuque. Elle devient pourtant et à chaque minute un peu plus à chaque minute cette stabat mater furiosa, cette mère debout furieuse, ou emportée par la rage, voire démente, égarée…
Simplicité sur un plateau de béton nu à l’horizon fermé par un mur de pierres inégales, elle se retourne et avance vers le public et parle doucement, comme pour retenir cette colère qui l’a faite venir ici et qu’elle retient, qu’elle retiendra jusqu’au bout pour ne pas en être submergée, avalée, détruite.
Elle est ce souffle qui s’insurge avec tout l’amour démesuré que peut concevoir un être humain pour cette humanité incompréhensible. Avec mille précaution, mesure, tendresse se diffuse ce cri de colère contre l’homme en guerre, l’homme de guerre. Mais pas cette colère violente qui heurte et use des mêmes armes, une colère qui interroge, pose les questions sans réponse et s’obstine à toujours poser ces questions : pourquoi, comment, comment l’enfant qui rampe sur le sol secoué de rire devient plus tard cet homme de guerre qui s’acharne à tuer, violer, détruire…
Rien n’est documentaire dans le texte de Jean-Pierre Siméon, chaque mot est poésie, chaque phrase est image, sens, goût, souvenir, espoir, paysage, et pourtant tout parle à notre imaginaire. C’est une chose déroutante et terrible de prendre conscience que ce texte écrit il y a vingt ans dans un langage à la fois percutant et musical, qui évite soigneusement la précision du détail journalistique, semble avoir été écrit hier pour ce qui se déroule aujourd’hui. Déroutant aussi de se rendre compte que cette évocation de la barbarie humaine nous paraît non pas étrange, étrangère, monstrueuse mais usuelle, tant nous sommes habitués à la guerre depuis plus d’un siècle.
Texte salutaire que Charlotte Fermand donne non seulement avec le talent que possèdent sa voix et son corps, mais avec cette envie de porter ce texte dans son ventre et de lui donner la vie devant nous. C’est une incantation, non pas aux dieux, ni aux oracles, ni aux astres mais aux hommes. La sobriété de sa mise en scène, l’adresse au public, l’extrême solitude de cette parole représentée sans fards, sans enluminures donnent encore plus à voir et à ressentir l’émotion nue et par instant, le cœur et le souffle des spectateurs battent au même rythme que ceux de la comédienne.
Elle ne s’alanguit pas, pose presque trop rarement ces respirations qui font apercevoir l’enfant courant aux pieds des oliviers, les déserts asséchant la source et les paysages apparaître dans les dessins inégaux du mur du fond du plateau. Car cette mère, cette femme, cette sœur représentée ici est tout sauf une mendiante, une pleureuse, une blessure qui gémit et pleure sur les morts, elle a plutôt l’impétuosité et la fièvre de la vie, irréductible, indestructible, à jamais debout.
Bruno Fougniès
Stabat Mater Furiosa
Texte Jean-Pierre Siméon
Conception et jeu Charlotte Fermand
Conception et Lumières Luc Michel
Collaboration artistique Pierre-Benoist Varoclier
Regards Suliane Brahim (de la Comédie-Française) et Ewen Crovella
Avec Charlotte Fermand
Mis en ligne le 4 octobre 2016