SEULS – Wajdi Mouawad
Théâtre de la Colline,
15 rue Malte-Brun
Paris, 20ème
01 44 62 52 52
Jusqu’au 9 octobre 2016
Du mercredi au samedi à 20h30
le mardi à 19h30
le dimanche à 15h30
En ouverture de la saison 2016-2017 du Théâtre national de La Colline dont il est directeur depuis avril dernier, Wajdi Mouawad, auteur metteur en scène comédien libano-québécois familier du Festival d’Avignon, présente Seuls, un spectacle de deux heures qu’il a écrit, mis en scène et interprète.
Ce spectacle, créé en 2008, ouvre un nouveau cycle, Domestique, qui comprendra, en outre, trois autres volets, Sœurs, Frères, Père et enfin Mère.
Contrairement à un autre quatuor, Le Sang des Promesses, parcouru d’un souffle épique et lyrique où la petite histoire croise la grande, dans Domestique c’est de sphère intime qu’il s’agit.
On y retrouve certes les thèmes qui traversent l’œuvre de Wajdi Mouawad, l’exil, la filiation, la guerre, la mémoire, la quête, l’identité, mais dépouillés du caractère tragique qui imprègne les œuvres précédentes.
Dans Seuls l’auteur abandonne la facture, le style des textes auxquels nous étions habitués et que nous aimions tant.
De même, il tourne résolument le dos aux pièces chorales qu’il avait jusque là privilégiées, à part quelques exceptions comme Un obus dans le cœur par exemple.
Pourquoi un tel revirement ?
Interrogé, l’auteur confie avec une pointe d’humour qu’il en avait « marre de gérer les névroses des comédiens », de devoir encore et toujours, en tant que metteur en scène, donner des instructions, de « justifier ou de demander des choses par la parole ». Bref que, comme l’enfant qui joue seul dans sa chambre, il avait envie de jouer et de se retrouver seul dans un local de répétition.
Quant au changement de style, Wajdi Mouawad l’explique aussi.
« Il faut dire qu’après Littoral, Incendies, Forêts, je cherchais une manière d’écrire différente. […] Seuls se cabrait, se taisait, s’en allait, lorsque j’écrivais avec le même lyrisme que d’habitude, dès que je tentais un peu de poésie… Seuls ne semblait accepter que les mots du quotidien. », dit-il.
Hélas, c’est là que le bât blesse car dans ce solo les mots du quotidien sont, à mon sens, d’une banalité et d’une platitude affligeantes. Et même si la langue n’est, dans ce spectacle, qu’une des expressions artistiques mises en œuvre puisque vidéos, sons, musique, lumière, costumes, silence entrent également en jeu, la « polyphonie d’écriture », pour reprendre les termes de Wajdi Mouawad, ne fonctionne pas (à mon sens, encore une fois).
Quoi qu’il en soit, voici donc Wajdi Mouawad sur la scène de la grande salle du Théâtre de La Colline. Un si vaste plateau pour lui tout seul, cela pouvait paraître quelque peu mégalomaniaque, confie-t-il, alors on a tout simplement ajouté un « s » au titre.
Et d’ailleurs, il n’est pas vraiment seul puisque, par moments, Harwan, son personnage, grâce à un jeu de projection sur le mur du décor, se dédouble et évolue dans le même champ que lui. Harwan qui est lui-même un double de Mouawad.
Mais qui est donc Harwan ?
C’est un étudiant montréalais en sociologie de l’imaginaire qui s’interroge sur la question de l’identité. Il travaille à une thèse sur le metteur en scène canadien Robert Lepage et est en passe de devenir professeur d’université. Perspective bien terne pour celui qui, enfant, rêvait d’être une étoile filante ! Pour l’enfant qui peignait sans relâche des ciels étoilés.
Douloureuse prise de conscience d’Harwan/Wajdi que le chemin sur lequel il s’est engagé n’est pas celui auquel il aspirait.
Seul dans son studio, il se penche sur son passé pour tenter de faire le point, mais sa « mémoire est une forêt dont on a abattu les arbres » pour reprendre cette si belle phrase de Forêts. Quels souvenirs lui restent-ils de son enfance au Liban, de sa langue maternelle, l’arabe ?
Et là, il fait une rencontre.
Une rencontre avec un tableau. « Le retour du fils prodigue » de Rembrandt, qui l’interpelle non seulement d’un point de vue artistique mais également pour ce qu’il représente : l’accueil chaleureux du fils indigne par son père, qui n’avait cessé de l’attendre.
Alors Harwan/Wajdi s’interroge. « Qu’est-ce qui, depuis si longtemps, attend mon retour et que j’ai oublié ? », explique l’auteur lui-même.
Le hasard l’ayant mis en possession d’une valise contenant des flacons de peinture et des pinceaux, Harwan va alors se lancer dans une frénésie créatrice, une débauche de couleurs phénoménale, s’enduisant le corps de peinture rouge, aspergeant tout ce qui l’entoure, faisant gicler le bleu, le vert, le rouge, le jaune sur les murs, le sol, retrouvant à la puissance mille les sensations de son enfance, renouant avec ce qu’il avait perdu.
Une demi-heure durant, nous assistons à une véritable performance au cours de laquelle Wajdi Mouawad se démène comme un beau diable, investissant le plateau d’une énergie inépuisable, tout à son bonheur d’exprimer son « lien à la matière ».
C’est long.
Car l’émotion n’est malheureusement pas au rendez-vous.
Il manque ce souffle que Wajdi Mouawad avait si bien su insuffler dans ses autres spectacles.
L’homme avait sans doute besoin de changer de registre et de ton mais on ne peut s’empêcher de regretter l’auteur qui nous avait enchantés par des phrases comme « Le clignement de mes yeux fait fondre le givre de mes cils et c’est l’hiver au complet qui pleure sur mon visage. »
On aimerait tant que Wajdi Mouawad reste le poète qu’il se défend d’être mais qu’il est incontestablement !
Elishéva Zonabend
Seuls
Texte, mise en scène et jeu : Wajdi Mouawad
Dramaturgie, écriture de thèse : Charlotte Farcet
Conseiller artistique : François Ismert
Assistante à la mise en scène : Irène Afker
Scénographie : Emmanuel Clolus
Éclairage : Éric Champoux
Costumes : Isabelle Larivière
Réalisation sonore : Michel Maurer
Musique originale : Michael Jon Fink
Réalisation vidéo : Dominique Daviet
Les voix
Layla : Nayla Mouawad
Professeur Rusenski : Michel Maurer
La libraire : Isabelle Larivière
Robert Lepage : Robert Lepage
Le Père : Abdo Mouawad
Le Médecin : Éric Champoux
Mis en ligne le 30 septembre 2016