LE CORPS DE MON PÈRE
Théâtre Essaïon
6, rue Pierre-au-Lard
75004 Paris
Tél 01 42 78 46 42
Jusqu’au au 25 février 2017
du jeudi au samedi à 19h45
Crédit photo © Frédérique Toulet
« D’abord, l’odeur grimpait l’escalier, et c’est elle qui me réveillait dans mon lit : le café noir, cuit et recuit, aux effluves de caramel brûlé pour la raison qu’il chauffait en permanence sur la fonte de la cuisinière à bois. Mon père nourrissait le fourneau avec des bûchettes et des rondins qu’il fendait dans la cave, le soir. J’entendais les coups sourds qui venaient de derrière les murs, étouffés, réguliers, cadencés. » Extrait
Poème d’amour d’un fils pour un père. Poème de pudeur, de non-dit, d’évitement dans une relation faite de silence. De ce silence que l’on sait chez certains hommes ou certaines femmes qui préfèrent la contemplation au bruit, le tu au dit, les gestes aux mots. Parce que la fatigue est là, la journée rude, le travail qui brise le dos.
Ce père est ouvrier agricole dans les années 60, employé dans différentes exploitations qui portent si bien leurs noms : exploitations. Un père fier, fort, humain pour qui chaque jour consiste à gagner juste de quoi faire vivre sa famille. Donnant toutes ses forces dans les champs, sur les tracteurs, à respirer les poussières du moissonnage ou à retourner les hectares sillon après sillon.
C’est le père de Michel Onfray. Une rareté pour la France cet Onfray. Un fils d’ouvrier agricole qui devient philosophe, enseignant, inventeur de l’Université Populaire de Caen, prolifique écrivain, intellectuel, polémique, et si fier, si reconnaissant pour ce père, cette mère dont il est issu.
Un texte qui s’attache au sensible : qui s’attache aux sens pour décrire ce père muet et courageux, sans plainte, fort, énigmatique. Bernard Saint Omer en fait briller avec sa mise en scène et son jeu, tout le charnel. Sa scénographie étonnante nous emmène dans une sorte d’atelier d’artiste, sculpteur (il est lui-même sculpteur), dans un bric-à-brac d’escabeaux en bois, d’établis, de tablettes escamotables, de four, d’outils, de tiges, de sculptures, de fourneaux… C’est par l’odeur, le geste, la rugosité de matière comme la violence de l’outil qu’il parvient à faire ressortir ce monde du réel qui nous est devenu presque étranger dans nos villes.
Grâce à l’odeur du pain qui cuit, les gerbes de flammes et l’odeur âpre provoquées par la meuleuse sur le fer, il parvient à donner toute sa signification aux images que Michel Onfray donne aux travers ses mots.
L’étonnement est de voir ce fils manier une langue pure, châtiée, recherchée, imagée, digne de l’écriture du 18ième siècle, pour raconter cette fascination pour un père roué de coups par la vie mais bon comme le pain.
Moment intense que ce spectacle fort comme un élixir de souvenir du vrai, du bon, du simple. Un moment qui rend compte aussi d’un tabou : celui de l’affection énorme d’un fils pour un père, qui ne peut s’exprimer.
Bruno Fougniès
Le Corps de mon père
Texte de Michel Onfray
Mise en scène, décor et interprétation : Bernard Saint Omer
Mis en ligne le 7 septembre 2016
Actualisé le 12 février 2017