LA LETTRE À HELGA
Théâtre de l’Épée de Bois
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
01 48 08 39 74
Jusqu’au 22 décembre,
du lundi au vendredi à 20h30
samedi à 16h00 et à 20h30
Nostalgie, érotisme, déchirements… au travers une longue lettre écrite au couchant de sa vie à celle qui lacéra son cœur et incendia ses sens, bien des années plus tôt, Bergsveinn Birgisson trace le tableau d’un homme d’une génération déjà à moitié oubliée. Celle des campagnes d’avant la science. C’est ainsi que, outre cet amour dressé comme une fatalité du destin, le récit, pris du point de vue de la paysannerie traditionnelle de l’Islande, évoque aussi la bascule que le monde a fait dans une modernité économique sans âme.
La campagne islandaise au lendemain de la deuxième guerre mondiale recèle des élevages ovins. Le héros de La Lettre à Helga est un de ces ruraux devenu contrôleur des fourrages, également éleveur de brebis et de moutons. Un homme de la terre, issue de cette nature du grand nord qui ne distribue de douceur qu’au compte goutte. Les paysages rudes, les mœurs mutiques, les morales strictes sèment leurs lois invisibles au travers les mots de ce roman à la première personne. L’héroïne est elle-aussi issue de cette vie dure et sévère où semblent se mêler inextricablement les puissances de la nature aux vies humaines : l’animalité, les bouleversements climatiques, les odeurs et les matières grouillantes ou gelées sont des influences auxquelles l’homme et la femme ne peuvent rester indifférents.
Dans le but de restituer cet environnement essentiel au récit, Claude Bonin s’appuie sur la magnifique scénographie de Cynthia Lhopitallier, qui a construit sur le plateau une idée de grange en constant délabrement. Des planches de vrai bois brut, des sacs de jute emplis de laines de moutons, et un lointain de côte rocheuse nous offrent la perception de la vie rude et agonisante. Dans le même esprit, l’univers sonore créé au plateau par Nicolas Perrin, un serti musical fait de frottements, de cloches, de tremblements lointains et parfois de mélodies elles-aussi extraites d’instruments où le crin, le métal et la peau s’invitent, ouvrent tantôt des parties oniriques, tantôt insistent sur la présence de cette réalité incontournable. Les projections vidéo de Valéry Faidherbe soulignent au loin, cet univers neigeux, étoilé, maritime. Et les lumières précises de Vincent Houard jouent avec art des clairs obscurs, des raies de soleil, des halos.
Dans cet environnement, voilà l’histoire d’amour d’un homme simple et d’une femme simple, mais aussi d’un adultère que le Destin joueur à écrit sur leurs feuillets de route. Une étreinte sensuelle d’une saison où l’air, la lumière et l’absolu despotisme du désir ont décidé pour eux. Quelques mois qui, comme un fer rouge, ont brûlé la corne de leurs consciences, de leurs droitures et les ont mis devant un choix tragique face à la morale sans pitié de ces sociétés rurales.
Roland Depauw incarne avec une totale identification le rôle de cet homme que la vie a jeté devant ce choix : vivre cet amour brûlant et abandonner la terre, l’univers mais aussi sa place dans une société aussi petite soit-elle. Il évoque avec une vraie crédibilité cet être dont le langage est autant cru que poétique. Et le drame existe entre choisir l’exil et de n’être plus personne ou sacrifier l’amour qui donne tout le sel et le rêve de la vie.
Bruno Fougniès
La Lettre à Helga
de Bergsveinn Birgisson
Adaptation théâtrale du roman éponyme
traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson – Editions Zulma
Mise en scène Claude Bonin
Assistanat et actions artistiques connexes Bénédicte Jacquard
Scénographie Cynthia Lhopitallier
Création Lumière Vincent Houard
Création Sonore Nicolas Perrin
Création vidéo Valéry Faidherbe
Avec Roland Depauw
Mis en ligne le 3 décembre 2018