LA DERNIÈRE BANDE
Théâtre de l’Œuvre
55, rue de Clichy
75009 Paris
01 44 53 88 88
Jusqu’au 30 Juin
Du mardi au samedi 21h00.
Matinées les samedis à 18h00 et les dimanches à 15h00.
À l’entrée du public dans ce petit écrin qu’est le Théâtre de l’Œuvre, sur scène, un homme est affalé sur l’acier froid de son bureau, sa tête échevelée parmi une multitude de boîtes en fer. Un éclairage sortant d’un luminaire industriel suspendu au-dessus de lui le douche à la façon d’un circassien au centre de la piste. Il dort ou plutôt il cuve. Il se réveille enfin montre sa tête presque horrible, c’est celle du vieux Krapp avec son nez rouge que l’on peut interpréter à la fois comme l’accessoire du clown mais aussi comme un signe de son alcoolisme bien visible.
Krapp a aujourd’hui 69 ans, écrivain raté qui eut l’ambition d’écrire une grande œuvre, clown pathétique au bord de la clochardisation va comme chaque année à l’occasion de son anniversaire écouter sur son vieux magnétophone des anciennes bandes avant d’en enregistrer une nouvelle sur laquelle il parle de l’année écoulée.
Dans la boîte numéro trois, la bande cinq le ramène à cet enregistrement qu’il a fait lorsque qu’il avait 39 ans, celui d’une rupture amoureuse et de s’entendre dire en réécoutant toujours la même chose inlassablement « Viens d'écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j'aie jamais été con à ce point-là ».
On apprend dans le plan de sa vie sexuellement moins absorbante que son sacrifice à l’écriture qui s’avère n’être que de la pure spéculation et au tiers de son temps passé à fréquenter les bars, l’existence de trois femmes. Une bonne dont les yeux et les seins ont attiré son attention pendant qu’il veillait sur sa mère mourante, Bianca qu’il a aimé à l’époque de ses 29 ans et la femme du lac Supérieur dont on ne connaîtra jamais le nom. Alors quand il commence son enregistrement, il se doute déjà qu’il s’agit là de sa dernière bande.
Au-delà du théâtre, ce soliloque est une véritable performance de comédien que Jacques Weber nous offre. Un personnage beckettien qui a quasiment tout perdu, l’esprit, la foi, l’amour tout en gardant néanmoins sa sensibilité, son sens de l’humour, la capacité de renoncer à la vie et à ses souvenirs pour aller à la rencontre de sa mort imminente.
Jacques Weber me confiait à la sortie « Personne ne m’a jamais tenu comme Peter Stein » et je le crois bien volontiers.
Patrick Rouet
La dernière bande
de Samuel Beckett.
Mise en scène : Peter Stein assisté de Nikolitsa Angelakopoulou.
Avec : Jacques Weber.
Décors : Ferdinand Wögerbauer.
Costumes : Annamaria Heinreich.
Maquillage et perruque : Cécile Kretschmar.
Mis en ligne le 30 avril 2016