Théâtre André Malraux
Place des Arts
92500 Rueil-Malmaison
01 47 32 24 42
Le mardi 19 février 2013, à 20h40
Durée : 1h30 sans entracte
D'après ses propres dires, c'est à la lecture d'un sondage plébiscitant le couscous comme plat préféré des Français que Fellag a eu l'idée d'organiser un spectacle pour expliquer comment réussir ce plat. Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il utilise son prétexte métaphorique pour distiller la bonne parole aux apprentis cuistots que nous sommes, non sans avoir ressorti au passage quelques casseroles avec lesquelles il nous cuisine !
Dans ce spectacle familial bon enfant aux relents de top chef à la sauce berbère, Fellag est l'unique candidat et il en ressort donc le logique vainqueur aux yeux des spectateurs. À portée davantage sociologique que gastronomique, son divertissant "cooking show" intitulé « Petits chocs des civilisations » met du baume au cœur des rapports grippés et parfois poussifs entre la France et l'Algérie, et entre Français et Maghrébins en général.
Dans un contexte de montée d'extrémisme politique et/ou religieux, c'est un antitussif miracle qu'on serait tenté de prescrire à ceux (malades ?) qui râlent et s'époumonent à expectorer autrui hors du corps social comme si c'était un mal délétère à caractère viral.
Respirant la sincérité et l'authenticité autant qu'il inspire la bienveillance et la tolérance, l'humour de Fellag fait mouche quel que soit le public car il y en a pour tous les styles, tous les goûts, toutes les couleurs (de peau). De la blague vaseuse ou potache à prendre au premier degré à la "private joke" en VO arabe non sous-titrée en "gaouri", tout le monde y trouve son compte et matière à se gausser, s'esclaffer ou sourire. Bref, on en rit.
Pétri de dérision et d'autodérision sans jamais tomber dans la moquerie, le spectacle a pour maître-mot la diversité dans son acception la plus large et conciliante qui soit.w
Évacuant d'entrée de jeu les questions les plus polémiques avec une ironie et un cynisme qui mettent à l'aise et dans l'ambiance, il passe des blagues anticolonialistes aux jeux de mots racistes avec une dextérité d'autant plus grande qu'il s'est lui-même décrit dans des situations défavorables au préalable. Tout le reste est un bel hymne à la fraternité.
Bien ponctuées par les jeux de sons et de lumières, les saynètes s'enchaînent bien tout en restant courtes, de manière à laisser le public souffler tout en captivant son attention. La mise en scène de qualité occupe tout l'espace scénique et fait intervenir des décors travaillés dont les couleurs chaudes sont plaisantes à l'œil autant que la voix chantante de l'humoriste est plaisante à l'oreille. Si la diction des répliques, calembours et autres traits d'humour n'est pas aussi fluide et spontanée que ce à quoi l'on pourrait s'attendre pour un spectacle de plusieurs mois, on se dit que ce n'est sans doute qu'un petit coup de fatigue passager et que cela n'enlève rien à la qualité de la construction des sketches et de leur mise en scène. À noter également le bel effort d'adaptation de Fellag qui ajoute des textes à sa base de spectacle pour coller à l'actualité et ainsi mieux toucher le public.
En bon bandit de grand chemin, le Fellag nous extorque des rires nerveux même quand les ficelles sont grosses et il va jusqu'à voler la vedette au couscous sur lequel repose son spectacle, quand bien même les effluves qui s'en dégagent nous titillent les papilles.
Sur ce point comme sur d'autres empruntés a priori aux anciens spectacles « Comment réussir un bon petit couscous » et « Tous les Algériens sont des mécaniciens » (entre autres), on se dit que la recette du succès de Fellag vient peut-être de sa faculté à savoir servir des plats réchauffés en les accommodant avec quelques épices pour corser le tout.
En tout cas, à 62 ans, l'« homme libre » qu'est redevenu Fellag prouve que c'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleurs couscous. Nous, pourvu qu'il y ait du piquant en plus d'ingrédients variés, on ne demande qu'à se resservir pour être rassasiés !
Camille Grosjean
Petits chocs des civilisations
De et par (Mohand) Fellag
Mise en scène : Marianne Épin
Décors : Sophie Jacob
Lumière : Philippe Lacombe
Régie générale et plateau : Frédéric Warnant
Régie lumière, son : Manu Laborde
Production : Volubile productions, avec le soutien de la Comédie de Picardie
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