Gran Teatre del Liceu
Barcelona
Être invitée au prestigieux grand théâtre d'opéra du Liceu de Barcelone est une chance qui se savoure. D'autant plus lorsque c'est pour assister à la version de Rusalka de Dvorak mise en scène par Stefan Herheim, création qui avait fait grand bruit en 2008 au théâtre de la Monnaie à Bruxelles.
Jeune metteur en scène norvégien inspiré et audacieux, Stefan Herheim revisite avec talent l'œuvre d'origine en insistant sur le côté psychologique et sexuel de l'histoire.
Le thème repris par Andersen dans « La petite sirène » raconte l'amour impossible d'une ondine et d'un humain.
Ici c'est une prostituée qui rêve d'épouser un jeune marin.
Mais impossible dans les deux cas d'échapper à sa condition, la sirène retourne dans le fond des eaux, la prostituée sur le trottoir.
L'uvre fourmille néanmoins d'allusions à l'élément liquide dans des scénographies époustouflantes. Cela dès le début avec une longue scène silencieuse noyée de pluie où les mêmes personnages vont passer une demi douzaine de fois, refaisant sans cesse les mêmes gestes, dans un décor moderne d'entrée de métro.
Côté cour un immeuble à balcon. L'esprit et l'ensemble ne sont pas sans faire penser à la version de Carmen récemment revisitée par Olivier Py.
Ce décor, conçu par Heike Scheele, astucieux et grandiose permet des changements à vue très réussis ; bourré de trappes, colonnes qui s'élèvent du sol, plaques tournantes, plein de mille trouvailles impressionnantes, parfois drôles et incroyablement ingénieuses, c'est un enchantement à lui seul.
D'assister à ce spectacle joué en tchèque et surtitré en catalan (!), m'a du coup concentré davantage sur la musique, langage universel. L'orchestre, mené par Andrew Davis, donne densité et couleur à la partition difficile avec parfois des accents wagnérien, théâtralement puissante, sans pour autant étouffer les chanteurs.
Camilla Nylund incarne une Rusalka terriblement vivante, voix splendide dans les aigus, forte et généreuse même si le célèbre Chant à la lune m'a semblé manquer un peu d'émotion.
Klaus Florian Vogt est un prince partagé entre son attirance pour un monde inconnu et ses appétits charnels envers une belle étrangère.
Cette dernière est incarnée avec puissance par Emily Magee, belle soprano dramatique à la voix d'une grande intensité.
Légère déception avec Günther Groissböck, génie des eaux transformé ici par la malice de Herheim en souteneur en proie aux scènes de ménage de sa femme. Omni présent, sa voix manque de la force inhérente au personnage.
Ildikó Komlósi est une sorcière devenue ici SDF avec des changements de voix surprenants.
L'ensemble de la distribution est cohérent et se laisse écouter avec plaisir.
Presque tous les rôles féminins deviennent à un moment ou un autre des Rusalka et j'avoue m'y être un peu perdue sans le support du texte.
Mais le spectacle est réellement magnifique et spectaculaire et vaut d'être vu pour son originalité, ses prouesses vocales et techniques – on est littéralement noyé sous un flot d'images fascinant – et bien sûr la musique de Dvorak puissante et envoûtante, mêlant avec bonheur ballades, danses et mélodies traditionnelles tchèques.
Nicole Bourbon
Rusalka
Anton Dvorak
Direction musicale : Andrew Davis
Mise en scène : Stefan Herheim
Scénographie : Heike Scheele
Costumes : Gesine Völlm
Éclairage : Wolfgang Göbbel
Dramaturgie : Wolfgang Willaschek
Avec :
Camilla Nylund, Klaus Florian Vogt, Ildiko Komlosi, Emily Magee et autres.
Orchestre symphonique et le Chur du Gran Teatre del Liceu
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