L'OR DU RHIN

Opéra National de Paris
120 Rue de Lyon
75012 Paris
01 40 01 17 89
Les 29 janvier, 1er, 4, 7 et 12 février 2013 à 19h30 ; le dimanche 10 février à 14h30.

« L'Or du Rhin » est un opus introductif à la trilogie de l'Anneau du Nibelung ("Der Ring des Nibelungen"), composée en langue allemande par Richard Wagner de 1849 à 1876.

Divisé en quatre scènes qui se jouent sans interruption, ce prologue raconte les origines d'un drame inspiré de la mythologie germanique et nordique. Un trésor d'or pur repose au fond du Rhin, gardé par les trois filles du Rhin : Woglinde, Wellgunde et Flosshilde. Alberich, de la race des Nibelung, maudit l'amour qui lui est associé et vole l'or afin d'en forger un anneau qui donne une puissance sans limite et apporte la richesse à celui qui le possède. Sur le conseil de Loge, cet anneau ainsi que les richesses accumulées par Alberich lui sont ensuite dérobés par Wotan pour payer le salaire de Fasolt et de Fafner, les deux géants bâtisseurs du Walhalla qui est censé devenir la demeure des dieux dont Wotan est le maître. Fou de colère et de douleur, Alberich maudit l'anneau, qui causera désormais la perte de quiconque le possédera. Wotan garderait bien l'anneau pour lui mais Erda, déesse de la sagesse, lui conseille de fuir la malédiction qui y est attachée. La malédiction fait son effet : Wotan cède l'anneau aux géants, mais au moment du partage du butin, Fafner tue son frère Fasolt afin de posséder l'anneau. Effrayé mais encore persuadé qu'il pourra agir sur les événements à venir, Wotan invite les dieux à entrer au Walhalla tandis que les filles du Rhin pleurent la perte de l'or pur et lumineux.

Le spectacle grandiose offert par la représentation de « L'Or du Rhin » à l'Opéra Bastille laisse perplexe, avec un goût mi-figue mi-raisin dans la bouche qui se rapproche un peu de l'impression que le sucré-salé ferait au gastronome néophyte qui goûterait pour la première fois ce savant mais néanmoins hardi mélange de saveurs.

Sucré parce que le cadre spacieux, le casting luxueux et l'orchestre majestueux dédiés à l'adaptation de ce chef-d'œuvre fabuleux laissent augurer un spectacle exceptionnel. Pour le commun des mortels qui ne se rend pas tous les jours à l'opéra, le moment est d'autant plus remarquable et appréciable qu'on ne fête pas tous les ans le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Bref, on se dit qu'on va passer un moment unique.

Salé car, outre la somme généreuse qu'il faut pouvoir dédier à une sortie culturelle aussi dispendieuse, certaines libertés audacieuses prises dans la mise en scène, les décors et les costumes réservent des surprises qu'on tendrait à décrire de façon peu élogieuse.

Bien sûr, c'est du Wagner. Ses longueurs caractéristiques, ses passages pompeux et cérémonieux et son univers de mythologie germanique rendent difficiles l'accroche d'un public qui doit s'être renseigné au préalable du spectacle pour savoir de quoi il retourne.

En ce sens, la reprise rigoureuse et l'adaptation efficace de L'Or du Rhin est à saluer car la "concision" obtenue en termes de réduction des longueurs originelles fait en sorte que le prologue de la trilogie de l'Anneau du Nibelung est fluide et cohérent, musicalement parlant. Bravo donc au directeur musical Philippe Jordan et à l'orchestre qui ont volé la vedette aux stars de chant lyrique pourtant méritantes mais dont le jeu est resté trop figé.

Au niveau du déroulé des actions théâtrales, l'adaptation est moins avisée et louable. Günter Kramer, déjà décrié par le passé, signe à nouveau une mise en scène polémique avec une interprétation fantasque qui emprunte au genre du fantastique et de la science fiction jusque dans les décors et les costumes. Leur design et leur style futuriste tranchent avec le caractère classique et sacré du chant lyrique et de la mythologie wagnérienne. Cette volonté iconoclaste peut en séduire certains déjà aguerris à l'opéra et peut-être lassés des mises en scène et des costumes conventionnels de l'époque du compositeur mais en ce qui me concerne cela m'a déplu, notamment dans la deuxième scène.

C'est seulement à partir de la troisième scène que j'ai pu rentrer dans l'histoire et faire abstraction de la subjectivité de la mise en scène, grâce aux effets visuels et artistiques impressionnants offerts par la mobilité des décors colossaux et l'harmonie des nombreux figurants auxquels il faut rendre hommage tout autant qu'au chorégraphe Otto Pichler. Les effets de groupe sont saisissants, faisant écho à l'épisode de la traversée du Rhin par Alberich qui avait été le passage le plus beau et le plus poétique du début de l'opéra.

Globalement, les prestations de chant des personnages ont été très bonnes, notamment celle de Qiu Lin Zhang qui joue une Erda empreinte de solennité et pleine de charisme dans son costume divin. Au contraire, le Wotan joué par Thomas Johannes Mayer est un peu en retrait et manque de prestance à certains moments alors qu'il devrait en imposer de par son rang dans la hiérarchie divine. Outre l'élégance et la dignité du personnage de Fricka, jouée par Sophie Koch, et l'émotion sincère de Freia, bien restituée par Edith Haller, c'est le Loge de Kim Begley qui produit le plus d'effet au spectateur, tantôt grave et conspirateur, tantôt amène et conciliateur. Avec la poésie du ballet des figurants et la magie extatique des interludes orchestraux, son rôle comique et burlesque ravit le public au milieu de l'atmosphère lourde où évoluent les autres personnages. À ce titre, on regrettera que la prestation des artistes lyriques et des cantatrices ne soit pas davantage mise en valeur par le jeu de leurs personnages, la théâtralité de leur mise en scène et/ou l'interaction de leurs voix avec les mélodies jouées par l'orchestre.

 

Camille Grosjean

 

 

L'Or du Rhin (das Rheingold)

de Wagner
Direction musicale : Philippe Jordan
Mise en scène : Günter Krämer
Décors : Jürgen Bäckmann
Costumes : Falk Bauer
Lumières : Diego Leetz
Chorégraphie : Otto Pichler

Distribution :
Wotan : Thomas Johannes Mayer / Egils Silins (1er, 7 et 12 février)
Donner : Samuel Youn
Froh : Bernard Richter
Loge : Kim Begley
Alberich : Peter Sidhom
Mime : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Fasolt : Lars Woldt
Fafner : Günther Groissböck
Fricka : Sophie Koch
Freia : Edith Haller
Erda : Qiu Lin Zhang
Woglinde : Caroline Stein
Wellgunde : Louise Callinan
Flosshilde : Wiebke Lehmkühl