PIERRE AZÉMA

 

Pierre Azéma loupePhoto Chris Noé

C’est dans le hall d’accueil entièrement refait et de belle façon de la Comédie Bastille que je rencontre Pierre Azéma qui dans ce théâtre devient deux soirs par semaine Jekyll et Hyde. Nous abordons d’entrée le choix de ce double personnage dont il est l’instigateur.

— Je connaissais la nouvelle de Robert Louis Stevenson bien sûr mais j’avais vu aussi une comédie musicale sur le sujet et Denis Podalydès l’interpréter dans le cas Jekyll. Par contre je n’ai jamais été influencé par tous les Jekyll  des productions Hollywoodiennes qui ont crée un personnage trop cinématographique et qui ne ressemble pas vraiment en fait à ce que Stevenson avait voulu en faire.

Le travail pour faire vivre une personnalité aussi torturée ne dut pas être simple.

— Nous avons travaillé en trio avec Pascal Salaun qui m’écrivait des scènes, un peu à la commande et Bénédicte Bailby qui me met en scène. On les lisait, les travaillait, les retouchait jusqu’à être au plus proche de la schizophrénie de Jekyll. Je voulais faire de ce spectacle un seul en scène il fallait donc que Jekyll  lâche à un moment sa rigueur et son rang pour devenir l’autre ce Hyde qui l’habite. Cela devait se voir mais aussi s’entendre. Hyde ne s’exprime pas et ne se déplace pas comme Jekyll  qui lui n’ose rien alors Hyde ose tout comme un homme libre.

Justement on en vient à parler de cette dualité entre le bien le mal.

— Il y a bien sûr cette dualité entre le bien et la mal mais je pense que ça va au-delà. Jekyll est enfermé dans tous ses interdits ce qui le rend prisonnier d’une vie morne il en devient même antipathique alors que Hyde se comporte comme un homme libre que rien n’arrête. Car en réalité on a beaucoup plus envie de ressembler, voire d’être un Hyde  plutôt qu’un Jekyll qui au fond de lui se bat en solitaire avec sa noirceur d’âme. Aujourd’hui on dit à un enfant ne fait ci ne fait ça c’est mal, c’est interdit, mais dans son double intérieur il a forcément envie de forcer ces interdits.

On sent qu’à deux heures de jouer Pierre s’imprègne doucement de son personnage, il s’enflamme en parle avec passion.

Je dois donner à chaque représentation une double naissance sur scène, franchir la ligne jaune. Jekyll est strict sans passion il a même peur de déclarer sa flamme à Betty, Hyde est organique, instinctif, violent, séducteur  Je voudrais que le public ait de l’empathie pour lui qu’il le kiffe surtout quand Hyde séduit sans vergogne et trop facilement Betty. De plus je ne raconte pas une histoire, elle se passe en direct ce qui m’amène à une prise de risque émotionnelle importante.

L’action se passe dans l’Angleterre Victorienne, époque étriquée, puritaine.
— Était-ce important de garder cette époque ?

— Oui car la première chose qu’il fait de mal lorsqu’il devient Hyde est de se masturber ce qui à l’époque était une pratique dégradante, un interdit sévère. Aujourd’hui c’est une banalité, donc rester dans l’époque était important.

On parle de ses rôles précédents qui l’ont marqué professionnellement et plus particulièrement celui de Gilbert dans Marie Tudor.

— Je pense sincèrement que sans avoir endossé le rôle de Gilbert je n’aurais pas pu faire Hyde.  Gilbert m’a amené à Hyde.  De l’homme simple et bon j’ai endossé la soutane du cardinal sous les traits d’un Alceste violent. Mister Jekyll et Hyde est presque une suite qu’il fallait que je finalise.

Je sens que le brouillard des nuits Londoniennes s’infiltre doucement dans son esprit. La cape et le haut de forme l’appellent avec le besoin de se chauffer et de se concentrer. Pierre Azéma me laisse là avec l’élégance qui est la sienne. L’acteur va devenir un autre sous les réverbères d’une double personnalité. En rappelant qu’il sera à l’affiche de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran à partir du 10 Novembre au Théâtre Rive Gauche.

Patrick Rouet