NICOLAS BEDOS

Le chêne noir
8 bis, rue Sainte-Catherine
84000 Avignon
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Mis en ligne le 5 juillet 2014

Nicolas Bedos
Nicolas Bedos (© Patrick Swirc)

Rencontre avec Nicolas Bedos, auteur de Promenade de santé

Il était une fois un jeune garçon à qui la vie souriait. De bonnes fées semblaient s'être penchées sur son berceau lui accordant beauté et intelligence,  vie luxueuse, excellente famille avec un père talentueux et célèbre.

Attentionnées, elles l'avaient entouré de personnalités aptes à forger son esprit, à développer son sens de l'analyse et de la critique, à lui montrer par l'exemple comment manier les mots pour en faire des armes redoutables.

Mais, comme dans tout conte qui se respecte, rôdait aussi une mauvaise fée qui s'employait dans l'ombre à contrecarrer les projets de ses consœurs.

A dix ans, le jeune garçon fut déclaré surdoué. Ce qui  s'avéra rapidement dans un monde très formaté  qui accepte mal les différences plus un handicap qu'un bienfait. Et le condamna à une certaine solitude qu'il surmonta grâce à la lecture et à l'écriture.

Les années passaient. Quand il eut  seize ans la méchante fée frappa de nouveau, lui faisant voir de très près l'horrible visage de la folie. Il en conçut une si grande frayeur qu'il la côtoya pendant des années, semblant maintes fois  sur le point d'y succomber à son tour, irrésistiblement attiré par tout ce qui pouvait le faire tomber dans cet abîme.

Mais comme ni la folie ni la mort ne paraissaient vouloir de lui, grâce sans doute à la vigilance des bonnes fées, la maligne sorcière se mit à lui parler, soulignant sans relâche ce qui le différenciait des autres, mêlant subtilement dans son esprit complexes de supériorité et d'infériorité.
— Regarde-les tous, ton père, ses amis, si intelligents, si parfaits, comment veux-tu un jour les égaler ? 
Et d'autres fois elle lui murmurait : 
— Tu les vaux largement. Montre leur, montre leur qui tu es, de quoi tu es capable.

Or, pendant qu'il grandissait et devenait adulte tant bien que mal, le monde autour de lui avait changé, en proie lui aussi à de sombres démons.

Chacun rêvait désormais d'être connu, d'avoir sa petite heure de gloire, grâce notamment à un étrange instrument qui permettait instantanément de communiquer avec le monde entier, de se faire voir, de développer ses idées.

Doué comme l'était notre héros, il sut très vite l'utiliser, sans doute poussé par la méchante fée, créant un autre lui-même, une sorte de personnage assez odieux, tête à claques, imbu de sa personne, se livrant à tous les excès.

Car dans cet univers impitoyable il fallait être percutant,  provoquer et provoquer encore pour se faire remarquer, et comme notre homme avait un certain talent pour ne pas dire un talent certain, il décocha maintes flèches sur tous ceux qui gravitaient dans le même espace, ravissant ceux qui très vite adorèrent ses écrits il est vrai remarquablement travaillés et irritant fortement les autres qui, prenant tout au premier degré, ne décryptaient pas la comédie. Il s'amusait beaucoup et si on l'observait bien on pouvait voir en même temps qu'il débitait des horreurs, son œil pétiller de malice, comme s'il faisait une bonne blague à ceux assez crédules pour prendre au pied de la lettre tout ce qu'il énonçait. En tout cas, il ne laissait personne indifférent et devenait un personnage incontournable, promenant sur tous les écrans et les lieux à la mode sa silhouette de dandy revenu de tout, nouveau Gatsby des temps modernes,  camouflant son mal être sous un humour ravageur. Grand séducteur, il allait d'amours en amours, ne s'aimant pas lui-même, comment pouvait-il aimer ?

Les années passaient, sa notoriété grandissait.

Puis vint un temps où il décida, ignorant la mauvaise petite voix,  de calmer le jeu, de se retirer du cirque médiatique, pour se livrer dans la solitude de son appartement à sa passion principale, l'écriture, capable de passer des journées entières sur un texte, le peaufinant sans relâche, jamais entièrement satisfait, toujours à la recherche du terme précis, de la tournure appropriée, de l'image idéale, jusqu'à ce que l'ensemble lui paraisse enfin gorgé de sens.

Écriture de romans ou de pièces de théâtre qu'il pourrait même interpréter lui-même, s'étant un peu essayé au métier de comédien. Mais comédien de ses propres textes pas de celui d'autres auteurs.

La petite voix semblait devenir moins audible au fur et à mesure que les années s'écoulaient. Le succès aidant,  Il se supportait mieux désormais, acceptait la ressemblance avec son père, se sentait enfin légitime. Moins écorché vif que dans sa jeunesse, il pouvait baisser la garde.

 Et les bonnes fées, jamais inactives, avançant leurs pions et plaçant sur son chemin la personne qui pourrait enfin lui apporter la sérénité, semblaient bien en place de gagner la partie.

Nicole Bourbon