Éric Emmanuel SCHMITT
RENCONTRE AVEC ÉRIC EMMANUEL SCHMITT, DRAMATURGE, ROMANCIER, NOUVELLISTE, METTEUR EN SCÈNE, ET DIRECTEUR ARTISTIQUE DU RIVE GAUCHE
Photo Claude Bourbon
Un petit studio niché au-dessus du théâtre Rive-Gauche : c'est là que nous reçoit Éric-Emmanuel Schmitt.
Ce qui frappe dès l'abord, c'est sa simplicité et son affabilité. L'homme est charmant et charmeur, très souriant, il paraît solide dégageant une force rassurante et bienveillante .
Nous sommes à quelques jours de la première de sa nouvelle pièce, « La trahison d'Einstein » (le 30 janvier), qu'il attend avec ce mélange de peur et d'impatience qui est le propre des premières fois.
« Peur de ne pas être suffisamment prêt, et impatience d'avoir le verdict du public. »
Ce nouvel opus, dans une mise en scène de Steve Suissa, mettra en présence Francis Huster (Einstein) et Jean-Claude Dreyfus, (un vagabond), qui vont échanger, parlant des problèmes du monde. Et de la responsabilité d'Einstein dans la création de la bombe A, si contraire à ses visées humanistes.
Comme à l'accoutumée, ce sujet à priori on ne peut plus sérieux, sera traité avec ce mélange de gravité et d'humour qui est sa marque de fabrique et qui en fait un des auteurs les plus lus dans le monde.
« J'écris pour un public large qui peut être intelligent sans être forcément cultivé. J'écris pour pouvoir être lu aussi bien par mes grands-mères qui n'avaient pas eu la possibilité de faire des études que pour mes amis intellectuels, disciple en cela d'Antoine Vitez qui souhaitait un théâtre élitaire pour tous ».
Et le choix d'Einstein n'est pas anodin, lui qui n'était pas que le physicien de génie qu'on connait mais aussi un homme pétri d'humour et qui ne dédaignait pas les mots d'esprits :
« Il n'existe que deux choses infinies : l'univers et la bêtise humaine, mais pour l'univers je n'en n'ai pas la certitude absolue ».disait-il par exemple.
Il est nous ici donné à voir un Einstein humain, car Éric-Emmanuel Schmitt fonctionne à l'empathie, qui est chez lui une seconde nature, peut-être même la première. C'est ce qui le fait avancer, construire ses personnages. Son matériau c'est l'humain, et on ne trouvera pas dans ses ouvrages de longues descriptions de lieux, d'objets ou de personnes, mais des sentiments, des traits de caractère, des émotions.
S'il écrit avec maestria romans et pièces de théâtre, il affectionne particulièrement l'art de la nouvelle, « considéré à tort en France comme mineur alors que nous avons de grands nouvellistes, Maupassant, Colette, Marcel Aymé. Mais les choses évoluent. »
« Les perroquets de la place d'Arezzo », son dernier ouvrage, même si c'est un roman avec un fil conducteur et une fin où les personnages se retrouvent, est un peu construit comme une suite de nouvelles, avec plein de petites histoires d'une trentaine de personnages chacun avec une sexualité particulière. L'occasion pour l'auteur pour révéler le fond de sa pensée : les plus grandes histoires d'amour sont dissociées de la sexualité. (Je lui en laisse la responsabilité !)
Car précise-t-il « la sexualité est conditionnée à plein de paramètres alors que l'amour doit être inconditionnel. Le plus bel exemple étant l'amour parents/enfants ».
Je songe alors au « banquet de Platon » car avec Éric-Emmanuel Schmitt, la philosophie, son « humus » dit-il, n'est jamais loin, qui baigne son œuvre, il est d'ailleurs docteur en philosophie. Mais surtout il se veut, se sent, profondément humaniste, rêvant d'harmonie sociale, d'entente entre les religions.
Utopiste peut-être, mais c'est aussi parfois ce qui arrive à faire bouger les choses, avec une foi à déplacer les montagnes, lui qui, comme Pascal, au sortir d'une nuit mystique dans le désert, a fait le pari de croire.
Cet homme, bâti en athlète, élevé en sportif par des parents professeurs de gymnastique, aurait logiquement pu se tourner vers une carrière sportive.
« On faisait de la natation, du ski, de la randonnée, de l'escalade. Tous mes camarades rêvaient d'avoir des parents comme les miens, et moi, je ne voulais qu'une chose, qu'on me laisse en paix, à lire ou à jouer du piano. »
Car s'il a peut-être laissé passer une vocation, ce n'est pas celle de sportif mais de musicien.
Et cet amour de la musique qui ne l'a jamais quitté, le conduit à écrire des spectacles comme « Le mystère Bizet », (qui sera joué à Gaveau le 14 février prochain), « Ma vie avec Mozart » ou encore « Cosi fanciulli », qui raconte « Cosi fan tutte » 10 ans avant.
Les voies du seigneur sont décidément bien impénétrables empruntant parfois des chemins bien détournés…
Mais attention, c'est aussi quelqu'un qu'il ne faut pas énerver. Sinon, il fonce.
Quand par exemple les théâtres refusent de faire jouer son « Anne Franck », il ne fait ni une ni deux, il achète un théâtre !
Et comme, ainsi que le dit le proverbe, charbonnier est maître chez lui, il peut ainsi se livrer à sa passion de raconter des histoires.
« On ne sait jamais d'où vient l'inspiration. C'est le mystère de la création.Le personnage me hante et parfois il parle à ma place. Ce que j'écris me dépasse. »
Et s'il a pu faire dire à un de ses personnages (Baptiste dans Les Perroquets de la place d'Arezzo) :
« Parfois je regrette l'énergie, le feu, l'impatience qui constituèrent les marches d'accès du succès. Dans l'accomplissement se tient tapi le deuil du désir », c'est bien Baptiste qui parle et pas lui.
La lassitude ne le guette pas encore, il possède toujours l'envie, l'enthousiasme, le trac : « Quand je cesserai d'avoir peur, j'arrêterai ».
Ouf ! Me voilà rassurée, D'autres bons ouvrages nous attendent.
Nicole Bourbon