UN PEU DE TENDRESSE BORDEL DE MERDE, Dave SAINT-PIERRE

 

Des corps et des âmes mis à nu

 

Dave Saint-Pierre, on adore ou on abhorre, mais il ne laisse pas indifférent. Ses pièces chorégraphiques sont marquées par le kitsch revendiqué, le trash et la dérision pour tenter de percer les secrets de notre rapport à l'amour et à la tendresse. « La pornographie des âmes », premier volet de sa trilogie des relations amoureuses, l'avait fait découvrir au public dans un parfum de scandale tant l'œuvre était provocante et dérangeante. Eh bien, celui-ci est de la même veine, on y retrouve son langage chorégraphique cru, décomplexé et audacieux.

C'est un spectacle fort, un show coup de poing d'une puissance inouie, d'une brutalité extrême et en même temps d'une grande tendresse, qui choque ou qui ravit mais qui confirme en tout cas le talent de ce jeune chorégraphe. Pas facile d'aimer en 2008 nous dit-il en plusieurs tableaux mi théâtre, mi danse contemporaine. Ils traduisent notre irrépressible besoin d'amour et d'attention de la part de l'autre, nous parlent du rapport entre les hommes et les femmes, les hommes et les hommes et les femmes et les femmes.

Il met en scène ces moments où le manque d'affection est criant entre ces écorchés vifs au cœur abîmé qui cherchent en vain l'âme sœur. Après s'être trop retenu, le corps doit expulser une énergie, un trop-plein. Le mouvement est poussé à l'extrême jusqu'à l'épuisement. Un mouvement brut et instinctif, des soubresauts, des spasmes dans des ballets énergiques où la musique est créée par le bruit des pieds qui frappent le sol en cadence, des corps qui tombent et qui roulent.

Comment raconter ce spectacle où tant de scènes s'impriment dans la mémoire ? Le dit et le non-dit ? Comment dire cette vingtaine d'hommes et femmes qui se mettent à nu, au propre comme au figuré. Comment raconter tous ces sentiments, hontes, déchirements, joies, jalousies, désirs, luttes de pouvoir, autopsiés, mélangés, exposés sur la scène. On ressent le désespoir de cette femme qui quémande, qui déraille et disjoncte par désir d'amour et par intense besoin de chaleur humaine parce que « la grande solitude », on y a tous goûté. On revoit ces hommes nus, affublés de perruques peroxydées, le sexe à l'air libre, qui se baladent dans l'assistance, au travers des spectateurs. Plus de scène plus de salle, un seul espace où les émotions se propagent, se confondent. On a encore dans la tête ce moment de grande douceur où une femme malgré ses dix amants cherche encore pathétiquement l'amour.

Dans ce récit débridé, agressif, parodique et finalement, tendre, il y a un maître de cérémonie, la sombre Sabrina. Elle seule manie le langage, les autres ne s'expriment que par cris ou par gestes. Narratrice-traductrice, (dans des traductions littérales qui déchainent les rires), elle nous entraine dans son monde où les femmes sont excessives, les hommes efféminés. Serait-ce donc la faute des femmes si la tendresse se fait rare? semble nous dire ce spectacle dans l'ensemble assez misogyne. Parallèlement, elle développe une relation avec le public, le malmène, l'encourage à réagir, l'oblige à faire la vague. On déroge alors à cette convention du spectateur qui en général se tient tranquille, ne parle pas et se sait en sécurité assis sagement dans son fauteuil. Cette fois il est impliqué, félicité, bousculé. Il n'est pas à l'abri de recueillir un homme nu sur ses genoux, d'être pris à partie.

Il y a aussi ces hommes qui se masturbent dans leur perruque, embrassant ensuite cette dernière et se retournant vers nous le « sperme » leur coulant des lèvres. Il y a Sabrina qui allègrement se masturbe sur un gâteau pendant cinq bonnes minutes. Et ça continue, sexe et vulgarité, toujours joués de façon un peu grotesque ; suite d'obscénités pour nous dire que l'humain par tous les moyens cherche à colmater son vide intérieur. Peut-être est-ce trop ? C'est vrai, l'intelligence, la pertinence et l'importance du propos, ainsi que l'efficacité de certains tableaux se perdent un peu à travers l'incorrigible amour qu'éprouve Dave St-Pierre pour la caricature, la gratuité du geste et la provocation facile. » J'adore quand vous vous indignez » nous dit-il d'ailleurs par l'intermédiaire de Sabrina.

Mais quand, après tant d'excitation, de désordre, de colère et de peine, complètement mis à nus, dans un final d'une fulgurante beauté, après avoir nagé sur la scène tel des bambins, magnifique image de corps qui glissent sur le plancher mouillé, des couples se blottissent enfin, deux à deux en cuillère, les femmes à l'arrière, en position foetale, fin d'un monde ou re-naissance, oui, on peut se dire que la tendresse, bordel, peut quand même l'emporter dans un monde de brute.

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