DEADLINE
USINE HOLLANDER
1, rue du Docteur Roux
94600 Choisy-le-Roi
Du 5 au 8 décembre et du 12 au 15 décembre 2013
jeudi, vendredi et samedi à 20h30 dimanche à 17h
et du 10 janvier au 2 février 2014
vendredi et samedi à 20h30 dimanche à 17h
Non loin de Paris, à Choisy le Roi, il est un lieu étrange et surprenant que l'on découvre, étonné, au bout d'une ruelle à la chaussée creusée de nids de poule, face à des caravanes et à ce qui parait être au prime abord une décharge.
On pense s'être égaré, mais non le panneau accroché à un portail en fer forgé indique bien Usine Hollander.
On descend de voiture, des enfants s'activent autour d'une carcasse de voiture, une femme, un enfant dans les bras nous sourit gentiment en nous disant bonjour.
Face à face donc, un camp de Roms, chassés d'ailleurs et à qui la municipalité a octroyé ce terrain, et une ancienne usine convertie en lieu de création toujours grâce à la même municipalité. Face à face le concret et l'abstrait. Face à face, la misère et la création artistique. Face à face, deux mondes apparemment à l'opposé l'un de l'autre. Mais pas tant que ça finalement en ce qu'elle réunit deux marginalités. Un endroit qui ne pouvait que séduire Patrice Bigel, un humaniste prêt à toutes les découvertes que la vie lui offre. Un homme qui questionne et se questionne. Un homme qui tire son inspiration du quotidien avec ce qu'il peut contenir de bon ou de moins bon.
Nous pénétrons dans le bâtiment et là, c'est le choc. Nous découvrons un lieu magnifique que l'extérieur ne laissait pas soupçonner, hauts murs de pierre, superbes plafonds voûtés en brique semblables à ceux que l'on peut admirer dans les beaux appartements barcelonais. Un bar accueillant. Une exposition de photographies, en ce moment celles de Lucas Grisinelli.
Nous voici dans la salle de spectacles, fauteuils de velours rouge comme il convient et immense plateau nu avec une fenêtre d'atelier qui rappelle le passé du lieu.
Et nous voilà embarqués dans un univers déroutant où danse et théâtre se côtoient sans jamais vraiment se rencontrer, mais en se renvoyant la balle dans un mouvement où alternent gestuelle parfaitement maîtrisée et textes plus confus dans un déséquilibre voulu assez déstabilisant.
Et cela vibre sous les mouvements répétitifs et parfaitement coordonnés des cinq interprètes, et cela danse et se contorsionne avec une grâce inouïe, et les corps deviennent objets animés, les jambes se font balanciers, les pieds et les mains claquent, et cela nous raconte le temps qui passe inexorablement et combien nous sommes peu de choses au regard de l'immensité de l'univers.
Et les mêmes gestes se répètent encore et encore sur une musique lancinante qui va crescendo, mais enrichis d'infimes variations comme pour essayer d'échapper au temps, ce fichu temps qui est le maître, qu'on ne peut maîtriser et alors la parole prend le relais pour mieux exprimer nos peurs et nos doutes, essayer de juguler l'angoisse.
C'est d'une beauté absolue, quasi hypnotique et en même temps d'une poésie inattendue et bouleversante. Une chorégraphie au cordeau d'une grande technicité dont les interprètes semblent se jouer avec une aisance stupéfiante, toujours sur le fil.
Oui nous sommes sur la deadline, cette date limite à ne pas dépasser, expression bien connue des journalistes : « dead line demain 8 heures pour ton papier ».
La date à laquelle on doit rendre sa copie. Où le spectacle doit enfin se révéler aux spectateurs. L'instant de vérité.
Pendant le spectacle deux enfants Roms sont entrés. Ils ont regardé, ont ouvert grands leurs yeux. N'ont sans doute pas vraiment compris, mais qu'importe, la passerelle entre deux mondes est là.
Nicole Bourbon
Deadline
Mise en scène, chorégraphies : Patrice Bigel
Textes : Alison Cosson
Avec : Samih Arbib, Mara Bijeljac, Francis Bolela, Sophie Chauvet, Anna Perrin.
Scénographie, lumières : Jean-Charles Clair
Son : Julie Martin.
Construction : Adrien Ganzer
Conception graphique : Valentin Bigel, Alice Gavin