DÉLIRE À DEUX

au Théâtre de la Ville (Abbesses)
31 rue des Abbesses, 75018 PARIS
Tél : 01 42 74 22 77
Jusqu'au 28 mai à 20 h 30. Dimanche à 15 h.

 

Peut-on encore monter du Eugène Ionesco, toutes ces années après le succès de cet auteur et celui du théâtre de l'absurde qu'il contribua à créer ? Evidemment, on joue toujours « La cantatrice chauve » mais cela tient peut-être davantage du folklore pour étrangers francophones qu'autre chose. En fait il y a, avec Ionesco, un problème de mise en scène. Quoi faire ? Le tirer vers une sorte de boulevard, jouer sur le dépouillement, le côté distancé, faire passer son message, bien sûr, mais lequel ?

« Délire à deux » date de 1962. C'est une pièce intermédiaire : il y est question d'un couple improbable qui n'a même pas de prétexte (chaises à ranger ou autre) pour être là, devant nous. En fait si. A leurs disputes, qu'on imagine éternelles, correspond un conflit à l'extérieur, conflit qui gagne peu à peu l'immeuble où ils habitent et même leur appartement. A la fin, tout s'apaisera, on fêtera la paix et ils pourront recommencer leurs chamailleries.

À l'origine, quand Ionesco dynamitait joyeusement le langage, la mise en scène était réaliste ; On avait un décor, des effets visuels, du vrai dans le faux, en quelque sorte. Ici, Christophe Feutrier, le metteur en scène a opté pour le jeu. Le jeu et rien que le jeu. Passons sur cette scène immaculée façon ring, sur ces salopettes qui servent de costumes et le « truc » pas vraiment nouveau qui consiste à faire dire aux comédiens les didascalies. Il en résulte un spectacle très travaillé, où les deux personnages arpentent la scène, s'apostrophent, se contredisent. Ils réagissent à une didascalie énoncée, « On entend le fracas d'une bombe » ou à ce qu'ils entendent vraiment.

Ionesco, féru de logique (voir le personnage du logicien dans « Rhinocéros ») adore aussi les phrases définitives comme : « Je ne ferai plus rien. Je ne ferai pas quelque chose non plus » ou bien « Une beauté est toujours belle, sauf à de rares exceptions ». Ou encore : « Le mal est mieux que le pire ».

L'intérêt du spectacle, c'est le mélange de ressenti et de simulacre.. En ce sens, nous sommes touchés à la fois émotionnellement ou intellectuellement. Cela dépend. À ce jeu, Didier Galas, l'homme, est précis et tonique : il s'oppose, dans tous les sens du terme à Valérie Dréville, la femme, que nous avions quittée dans du O'Neill. Elle prouve à nouveau qu'elle est une comédienne qui se renouvelle, tout en amenant avec elle un monde lointain, déroutant, en un mot captivant.

 

Gérard Noël

 

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