ROBERTO ZUCCO

TNT 
Théâtre National de Toulouse
1 rue Pierre Baudis
31000 Toulouse
05 34 45 05 05

Janvier 2016

Roberto Zucco loupe 

Vendredi 15 janvier 2016, j'ai vu une représentation de Roberto Zucco signée Richard Brunel. La grande salle du Théâtre de la Cité de Toulouse était pleine. Il y avait là des jeunes et des moins jeunes. À la fin du spectacle, j'ai demandé à un jeune  qui semblait être un lycéen s'il avait aimé. Il m'a répondu oui. À la question qu'est-ce que vous n'avez pas aimé, il m'a jeté un regard ahuri comme si j'étais moi un animal étrange. Oui, qu'est ce que vous n'avez pas aimé, insistais-je ? Vous êtes bizarre monsieur, je vous ai dit que j'avais aimé. Le jeune homme s'éloigna, se rangea dans la file d'attente afin de récupérer ses affaires laissées aux vestiaires pour des raisons de sécurité. Une dame âgée d'une quarantaine d'années a dit : la mise en scène était superbe.

Roberto Zucco (1988) est la dernière pièce de l'auteur dramatique Benard-Marie Koltès (1948-1989). Lorsque Koltès commence l'écriture, il sait qu'il n'en a plus pour longtemps.

Roberto Zucco fait référence à Roberto Succo (1962-1988), un jeune tueur en série d'origine italienne, qui entre 1987 et 1988, a assassiné son père, sa mère, deux policiers et plusieurs autres personnes en France. Mais si Succo est un élément déclencheur pour Koltès son projet d'écriture n'a pas été d'écrire une pièce de théâtre qui retracerait la vie de Roberto Succo et encore moins d'en faire l’apologie. À cet égard, le dialogue entre les deux gardiens pourraient aussi être pour Koltès une énonciation du projet d'écriture ; pour que quelque chose naisse il faut d'abord avoir l'idée. L'image de Roberto Succo s'évadant de la prison est l'éclair, l'impulsion, la source de l'idée qui jaillit, rencontre le désir d'un auteur sur le départ, sur le seuil, à la limite, à la frontière et qui ensuite bourgeonne, trace son chemin vers la lumière du soleil laissant derrière elle la source qui lui a donné naissance.

Roberto Zucco est un fruit de l'imaginaire qui se nourrit du réel, d'œuvres de fiction. Roberto Zucco est un personnage de théâtre, une fiction. Chez Koltès, seul Zucco a un nom ; il s'évade de prison ; il tue sa mère ;  il déflore une gamine ; il tue un inspecteur de police ; il  passe la nuit dans le métro avec un vieux monsieur qui s'est perdu dans les couloirs ; il cherche la bagarre dans un bar avec un balèze, se fait tabasser par lui comme s'il voulait que ce soit lui, le balèze, qui lui fasse voir le visage de la mort ; il prend une Dame en otage dans un parc public ; il tue le gamin de cette dame ; il s'échappe avec la Dame ; il revient sur ses pas, reconnaît qu'il est un assassin, se laisse arrêter par la police, s'évade à nouveau de prison et se suicide.

À la première ce fut le scandale. Les parents des victimes, le syndicat des policiers accusèrent l'auteur d'avoir voulu faire d'un assassin un héros. Dès lors la question de l'héroïsation s'impose au metteur en scène qui veut s'emparer de la pièce et elle s'emble s'être imposée à Richard Brunel. Quel statut attribué à celui qui transgresse l'ordre social sans aucun projet de transformation de cet ordre en quelque chose de meilleur ? Comment traiter les victimes, quel statut leur accorder ?

Dans la pièce de Koltès, il n'est pas toujours évident de dire à quel point la victime n'est pas responsable de ce qui lui arrive, tout n'est pas tout noir ou tout blanc. Zucco semble toujours agir comme une espèce de bon/mauvais génie qui donnerait forme à une idée préalablement énoncée, comme s'il prenait les énoncés au pied de la lettre. La mère émet l'idée que Zucco pourrait la tuer alors Zucco exécute ce souhait, dans le couloir du métro à aucun moment le vieillard n'émet le souhait de mourir ou que Zucco pourrait lui faire quelque chose de mal, il ne meurt pas. Par ailleurs la violence exprimée par Zucco semble agir comme révélateur de la violence de l'ordre social et des individus. Cette violence contamine la famille, la police, la Dame élégante présentée comme une bourgeoise riche, mais semble laisser intacts ceux qui sont déjà à la périphérie. Aucune prostituée n'émet le souhait de mourir ou de voir mourir quiconque aucune prostituée n'est tuée par Zucco. Cette complexité de la relation entre le tueur et les victimes est préservée par le metteur en scène.  Pio Marmaï, malgré son physique, se garde de tout geste, de tout regard et de toute tension physique qui pourrait laissser penser que Roberto Zucco est un tueur en série, un chasseur. La Gamine (Noémie Develay-Ressiguier) et la Dame élégante (Luce Mouchel) sont des femmes combatives qui ne cherchent pas à se faire passer pour des victimes. Au dénouement de la pièce, elles sont esseulées comme si le metteur en scène laissait ouvert l'espace de l'imaginaire pour que chaque spectateur décide de leur devenir. Ainsi la violence de Zucco n'apparaît pas comme inhérent à lui mais comme une violence qui émerge de la relation. C'est comme si dans la relation, de manière répétitive le rôle de tueur lui était attribué ainsi tout comme Œdipe, découvrant à la fin de l'enquête qu'il a jouée, sans le savoir,  à la perfection le rôle qui lui a été attribué dès sa naissance par la société, se crève les yeux et s'exile, Zucco découvre qu'il est un assassin et c'est presqu'en larmes que dans la mise en scène de Richard Brunel, il déclare : je suis un assassin. Il se laisse arrêter, refuse l'exil de l'enfermement et se crame  définitivement les ailes dans le soleil de midi. Son corps chute, tombe au pied du labyrinthe, son corps sert d'exutoire à la foule qui le piétine. Richard Brunel semble donc en apparence refuser toute consécration, toute héroïsation de Zucco. Mais l'héroïsation d'un personnage de théâtre comme Zucco dépend-elle vraiment du seul désir du metteur en scène ?

Force est de constater que Zucco a pris place parmi les figures que nous convoquons régulièrement dans nos rituels et nos rituels n’ont pas seulement pour but de nous divertir. Les personnages limites comme Zucco révèlent : l'ordre social est une oasis au milieu du chaos. Ils ont la double face : celle de la violence et du sacré.

Charles Zindor

 

Roberto Zucco

de Bernard Marie-Koltès/Richard Brunel

Avec :
Axel Bogousslavsky
Noémie Develay-Ressiguier
Évelyne Didi
Valérie Larroque
Pio Marmaï
Babacar M'Baye Fall
Laurent Meininger
Luce Mouchel
Tibor Ockenfels
Lamya Regragui
Christian Scelles
Samira Sedira
Thibault Vinçon
et Nicolas Hénault

Dramaturgie Catherine Ailloud-Nicolas
Assistanat à la mise en scène Louise Vignaud
Scénographie Anouk Dell'Aiera
Lumières Laurent Castaingt
Costumes Benjamin Moreau
Son Michaël Selam
Coaching vocal Myriam Djemour
Conseil acrobatie Thomas Sénécaille
Coiffures et maquillages Christelle Paillard
Régie générale Nicolas Hénault
Régie de scène Guillaume Clément Zemor
Régie lumière Marie Boethas
Habilleuse Barbara Mornet
Réalisation costumes Dominique Fournier
Assistée de Barbara Mornet
Réalisation décors Ateliers du TNP sous la direction de Laurent Malleval
Chef peintre André Thöni

 

Mis en ligne le 20 janvier 2016