LA MEXICAINE EST DÉJÀ DESCENDUE

La Criée, Théâtre National de Marseille
30, quai de Rive Neuve
13007 Marseille
04 91 54 70 54

Jusqu’au 24 janvier 2019
Ven, Sam, Mar, Jeu 20h, Mer 19h, Dim 16h

 

La Mexicaine est déjà descendue loupe 

Sur une trame quasi comique se déroule un véritable questionnement sur l’identité masculine et les stéréotypes engendrés par la culture, la morale et l’éducation : bref, la représentation du viril. Une telle évocation pourrait être un peu hermétique, mais rien de cela ne transpire dans « La Mexicaine est déjà descendue » grâce à une écriture inventive et une mise en scène intelligente et originale avec une construction des personnages sur le modèle des matriochkas.

Le spectacle en entier est d’ailleurs étagé en emboîtements successifs. D’abord une sorte de boîte de nuit, un cabaret, où tous les personnages sont des adeptes de la danse urbaine le Voguing. Ils sont masqués et annoncent les personnages qu’ils vont interpréter pour une drôle d’histoire.

Une histoire qui se déroule dans l’intimité d’une famille de marchands d’art : la mère, la fille et surtout le fils, vendeur surdoué qui use de ses charmes virils pour refourguer les toiles au prix fort. Arrive une jeune Russe qui recherche son frère, danseur classique, disparu depuis une semaine. La galerie d’art est le dernier endroit où il a été vu avant sa disparition. Se greffent alors l’histoire du père, artiste disparu depuis vingt ans, l’annonce de la mort de celui-ci en Orient, la sœur et le frère qui soudoient la jeune Russe pour signer les toiles de celui-ci et les faire acheter par la mère, en échange de quoi ils auront des révélations à faire sur la disparition du jeune danseur. Est-il mort ? Est-il enfermé, enterré dans la cave de la galerie ?... Entretemps, le fils séducteur tombe amoureux de la jeune fille russe, pour la première fois de sa vie…

Viennent s’ajouter d’autres anecdotes, d’autres énigmes vaguement policières, qui mettent en jeu, vous l’aurez compris, plusieurs liens familiaux. Des liens frères/sœurs, des liens mères/fils, des liens père/fils/fille, des liens hommes/femmes au travers du double filtre des chorégraphies du Voguing et du jeu de rôles que les comédiens annoncent dès l’ouverture.

Et c’est cette mise à distance des personnages et la mise en rythme et en codes chorégraphiques qui créent paradoxalement la profondeur et la légèreté de l’ensemble. Le travail de mise en scène de Carole Errante éclate de sens. Tout se déroule dans l’espace d’une discothèque symbolisé par des enceintes empilées ou disposées un peu partout formant ameublement, escaliers ou podiums suivant les scènes. Le jeu des personnages, volontairement excessif, décalé, sème des pistes qui semblent fausses mais qui forment une sorte de syntaxe, des bribes de phrases et d’images qui résonnent entre elles pour réaliser à la fin une exploration pertinente et artistique de la puissance des stéréotypes masculins sur les êtres : leurs soifs d’être ce qu’ils sont censés représenter en faisant fi de leurs véritables aspirations.

L’écriture de Perrine Lorne va dans le même sens : loin de tout excès littéraire, hors de toute volonté analytique qui serait bêtement soporifique, elle génère des scènes, des histoires, de la fiction. Une écriture à la fois quotidienne, mais qui sautille d’une scène à l’autre sans se soumettre à la logique, au réalisme. Dans tout le spectacle, il n’y a que les quelques scènes sur le mode de la répétition (les scènes où les hypothèses d’explications du titre énigmatique sont énumérées) qui ralentissent le rythme intense du spectacle.

Dans cette sorte de puzzle, où les pièces ne semblent pas toujours s’imbriquer, Carole Errante semble s’amuser mais pas seulement car l’assemblage forme un tout et parvient, en ne semblant s’intéresser qu’à l’apparence des êtres et des choses, à rendre sensible et percutante la thématique, avec une audace et une énergie bienfaisantes.

Avec en plus un éclat de poésie lors de l’apparition d’un tableau où le frère disparu apparaît, danseur, pailleté du talon au sourcil, faisant prouesse de twirling bâton (l’équivalent homme des majorettes, comme un clin d’œil, une vision de réalisation de soi au-delà de tous les clichés imposés.

Bruno Fougniès

 

La Mexicaine est déjà descendue

Auteure Perrine Lorne
Metteure en scène Carole Errante
Assistante à la mise en scène Romane Pineau
Régisseur général et créateur sonore Victor Pontonnier
Créateur lumière Jean-Luc Passarelli
Scénographe Thibault Vancraenenbroeck

Costumière Aude Amédéo

Avec Geoffrey Coppini, Axel Escot, Emma Gustafsson, Anne Naudon, Maurice Vinçon

 

Mis en ligne le 22 janvier 2019