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TnBA - Studio de création
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Jusqu’au vendredi 14 avril 2017
Mar, mer, ven à 20h / Sam à 19h
Lun, mar, jeu, ven à 20h
(Relâches jeu 6 et mer 12)

En espagnol chilien surtitré en français

Durée 55 min

 

 

Acceso loupe Photo Sergio Armstrong

Lorsque la lumière s'allume, Sandokan, bas de jogging, veste bleue, boucle d'oreille en croix et sac en bandoulière, se tient là et s'impose comme guide le temps d'un trajet dans les bas-fonds d'un Chili encore essoufflé par seize ans de dictature.

Dans la sueur d'un quotidien dans lequel il ne se reconnaît pas, Sandokan est vendeur ambulant. Au rythme de la cadence infernale d'un prêche à la justesse d'un langage approximatif, et tout en dénonçant la nouvelle constitution politique, il fait l'article de produits de consommation inutiles ravivant sans cesse des souvenirs comme autant d'images vivaces et poisseuses lui collant indéfectiblement à la peau.

Embarqué dans un car empruntant à tombeau-ouvert les sillons ravagés par le régime militaire de Pinochet, le comédien Roberto Farías engage le spectateur dans une traversée qui, très vite, l'entraîne au centre de réminiscences obscènes, baignant dans la fange d'une société à vitesses multiples dévoilant pratiques déviantes et nauséabondes.

La scénographie simple et épurée joue sur deux atmosphères de lumière dessinant un intérieur/extérieur : tantôt dans le bus et dans la ville, tantôt dans la tête et les souvenirs du jeune homme dont le curseur du bien et du mal ne fonctionnent plus depuis fort longtemps. Entre présent et passé, la frontière floue est poreuse et savonneuse de sorte que l'on glisse de l'un à l'autre, dans le pli de sombres récits. On passe d'une lumière néon des magasins à des éclairs grinçants imagés, d'une veilleuse anti-fantôme aux dérives d'une vie en foyer perturbée. La bible devient prétexte à des mœurs peu catholiques d'hommes d’Église, un rasoir à peluches devient l'ombre d'objets sexuels. Un peigne dérape sur des actes pervers, une semelle de chaussure tout confort sur des pratiques sportives dévoyées.

Petit à petit ce bus s'enfonce au centre d'une agglomération de coutumes plus que borderlines et dérangeantes où s'invitent hommes de pouvoir et d'argent, défonce, prostitution et toute autre forme de corruption possible. Innocemment en quête de tendresse et d'amour, ce quotidien orgiaque et clandestin est devenu la réalité normée et identitaire de Sandokan puisque, dit-il, « on s'habitue à tout à la fin ». Il se construit dès lors ses propres vérités où les illusions renforcent un rempart de survie.

Agité par autant de réminiscences ataviques, les analogies se bousculent dans l'immense shaker de son cerveau qui ne sait plus faire le tri, juger, jauger. Sandokan est un mort-vivant écorché : son filtre sociétal et raisonné s'est réduit en peau de chagrin shootée. Perclus de cailloux de crack coagulés, son voile fait d'innocence et d'espoirs déchus s'est froissé dans une enfance violée.

Sur les rails cocaïnés d'un ascenseur émotionnel entre hallucinations, sursauts de violence, mal être, altérations d'humeur, prières désespérées, ce parti pris franc et assumé laisse place à une performance de comédien d'une énergie et d'un engagement sans faille, porté par une écriture crue et sans concession que le spectateur reçoit comme un uppercut. Seul en scène, cet homme porte la croix d'une génération d'enfants nés et abandonnés sous un régime totalitaire. Dans l'expectoration verbale de Sandokan résonne les destins foutus, brûlés par la fausse probité de gens de pouvoir sans états d'âme. Entre deux rasades enivrantes, il crache sans pudeur ses viscères, nous jette à la figure ses tripes alcoolisées et ses intestins vrillés d'injustices. Portant une fatigue psychique et physique, son cerveau altéré s'embrase dans un grouillement d'images, de pensées, de souvenirs qui reviennent tous azimuts comme une nuée de mouches parasites jusqu'à ce qu'une idée se fixe sur la lunette d'un instant de lucidité, s'arrêtant net pour prendre à partie frontalement un public impuissant.

À la fois touchant et effrayant, Sandokan n'a de cesse de nous interpeller, il nous amuse aussi, on rit, façon de désamorcer.  Sans nous rendre responsable, loin de verser dans l'empathie ou de lancer un appel de détresse, il donne à écouter, à comprendre, force à nous décentrer de nos nœuds d'occidentaux européens. On sent le malaise de certains passagers dans les rangs, les hébétés, ceux qui ont l'estomac qui se tord et ceux qui ne veut pas voir ce qui se joue devant eux.

Pablo Larraín signe ici sa première mise en scène portant au plateau les témoignages réels récoltés de tant d'autres Sandokan, fruits de la dictature militaire, fabrique de grenades humaines lâchées dans la nature sur la fragile tension de l'explosion.

Cynthia Brésolin.

 

Acceso

Texte Pablo Larraín et Roberto Farías
Mise en scène Pablo Larraín

Avec Roberto Farías

Création Lumières Sergio Amstrong
Régie Lumières Catalina Olea
Assistante mise en scène Josefina Dagorret
Texte françaisTiphaine Caron et Nicole Mersey

 

Mis en ligne le 7 avril 2017