LE FESTIVAL DE FIGEAC : UNE VEINE SPIRITUELLE

 

 

Un Ennemi du peuple loupe La Légende de Saint-Julien l'Hospitalier de Gustave Flaubert

Au festival de Figeac, la programmation est éclectique, qui mêle classiques et écritures contemporaines. On peut y déceler cependant une veine spirituelle. La pièce d’Ivan Viripaev par exemple, Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre est empreinte de religiosité. Elle laisse à voir un homme exténué qui ne supporte plus ni le monde ni lui-même, et dont la lassitude apparaît surtout comme la fatigue d’un individu habitant un monde vidé de la présence de Dieu. Les références aux religions chrétiennes sont multiples, passant par le prénoms de personnages (Sara) ou les engagements de ces derniers dans leur communauté. La pièce, qui mêle différents registres (vaudeville, théâtre de l’absurde, mélodrame), fait se côtoyer comique et considérations métaphysiques.

On ne saurait trop se réjouir de la présentation de cet auteur russe contemporain majeur à ce festival. La personnalité d’Ivan Viripaev, qui a grandi dans une ville de Sibérie ravagée par les problèmes de drogue, embarqué jeune dans le banditisme et qui semble avoir trouvé la rémission dans le théâtre et une vie ascétique, devrait convaincre ceux et celles qui ne le connaissent pas encore de se plonger dans ses textes, ou dans les multiples mises en scène qui en sont faites maintenant en France. Déjà à Figeac l’an dernier avait été organisé une lecture de la seconde pièce du recueil, paru aux Solitaires intempestifs, Illusions, pièce proprement hallucinante. Si le jeu des comédiens se laisse à voir, la mise en scène de Stéphane Müh réussit à instaurer une belle tension dramatique de bout en bout, ponctuée d’éclats de rire.

De rémission il est aussi question dans La légende de Saint-Julien l’Hospitalier, ce roman de Flaubert, ici porté à la scène par Rachel Da Silva. Julien, après avoir accompli mains exploits (certes sanguinaires), au sommet de la gloire, finit par réaliser le destin qui lui avait été prédit : le meurtre de ses parents. Il ira, mendiant, errer de par le monde dans une perpétuelle pénitence, et faisant acte de charité jusqu’à étreindre un lépreux à l’agonie. Le lépreux se révèlera être une figure christique qui l’emporte aux cieux.

Le talent de l’équipe est d’adapter pour la scène ce très beau texte littéraire (geste il est vrai à la mode par les temps qui courent), par un travail remarquable de chorégraphie, et d’accompagnement musical (à la guitare électrique Jérémie André).

Une autre légende, celle du Grand Inquisiteur, se donnait à entendre samedi 27 Juillet à la salle Balène, et sera reprise lundi 29. Cet extrait des Frères Karamazov de Dostoïevski, est mis en scène par Benjamin Moreau (artiste associé), et joué par Frédéric Giroutru le Sacripan – de son nom de scène. À Séville, à l’époque de l’Inquisition, le Christ revient sur Terre et ressuscite un enfant. Il est arrêté par le Grand Inquisiteur qui vient le visiter en prison et lui adresse un long monologue – puisque malgré ses questions, son prisonnier ne répondra jamais, gardant son air doux et compatissant. Il s’en prend à lui en l’accusant d’avoir donné à l’homme une liberté trop grande pour lui, et notamment la liberté de sa foi. Une liberté sous laquelle il ploie et qui amène finalement plus de malheur que de bonheur pour l’humanité. Lui, le Grand Inquisiteur, a pris le contrepied de ça, en se faisant remettre la liberté des uns et des autres pour assurer leur bonheur.

C’est un texte extrêmement puissant de l’auteur russe, un – et peut-être le plus célèbre – monologue métaphysique du roman (qui procède ainsi par digressions théoriques). La mise en scène est très épurée : un grand panneau ocre sur lequel le comédien trace au début une grande croix à la craie. Habité, comme halluciné par la vision de la scène qu’il nous conte, le comédien livre une performance remarquable. On peut s’interroger cependant sur la pertinence de porter à la scène un texte aussi théorique, qu’il faudra relire chez soi à tête reposée.

Marie du Boucher


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Mis en ligne le 28 juillet 2019