LE FESTIVAL DE FIGEAC : UN THÉÂTRE DE TEXTES ET D’IDÉES

 

 

Un Ennemi du peuple loupe Un Ennemi du peuple © François Passerini

C’est décidément vers les grands textes qu’est tournée la programmation du festival de Figeac. Après Cyrano et les Trois Mousquetaires (déjà chroniqués ici), Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre (Viripaev), La légende de Saint-Julien l’Hospitalier (Flaubert), et La légende du Grand Inquisiteur (Dostoïevski) qui feront l’objet d’un prochain papier, voici qu’était présentée samedi 26 Juillet une mise en scène d’Un ennemi du peuple d’Ibsen.

Si tous ne sont pas des textes dramatiques – loin de là, on voit une nette préférence pour l’adaptation de romans à la scène – tous sont des « grands » textes littéraires, avec une incursion notable dans le contemporain (Viripaev), celui-ci étant d’ailleurs déjà consacré comme un classique.

À cette attention portée aux œuvres se double une économie de moyens dans la mise en scène. Dans tous ces spectacles vus à Figeac, très peu de décors, si ce n’est pour la plupart des panneaux amovibles (Cyrano, Un Ennemi du peuple), ou quelques éléments légers et facilement transportables. On est loin ici de l’économie des grandes productions avignonnaises ou parisiennes. C’est un théâtre populaire, exigeant de par les œuvres présentées, et accessible au plus grand nombre. Foin la débauche de moyens parfois embarrassante qui servent des textes plus ou moins intéressants dans les super productions contemporaines.

C’est aussi le meilleur du théâtre, dans le sens où les textes proposés et les mises en scène qui en sont faites apportent moins de réponses qu’elles ne soulèvent de questions, et qu’elles cultivent une certaine ambivalence. Que penser en effet de cette diatribe de Sara dans Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre (Viripaev), où le personnage affirme que l’essence de la femme est d’appartenir et de servir un homme (puisqu’elle a été tirée de la côte d’Adam) ? Et que le drame de notre époque réside dans le fait que, libres maintenant de choisir celui qu’elles vont servir, elles ne trouvent personne dignes d’elles (alors que quand on leur imposait, forcément c’était plus simple). Mais Donald, son ami, lui rétorque alors : « tu rigoles j’espère ».

Dans l’œuvre de Flaubert, Julien accède au sommet de la gloire (il épouse la fille de l’Empereur) après avoir commis mains exploits sanguinaires, et s’être illustré à la chasse par le massacre de moult animaux. Y a-t-il une rédemption possible pour celui qui a tué père et mère ? Son étreinte finale avec un lépreux – une figure christique - pourrait le laisser à penser, mais elle scelle en même temps sa mort.

Dans Cyrano comme dans Un ennemi du peuple (j’espère qu’on ne m’en voudra pas de ce rapprochement hasardeux), on a affaire à des hommes libres – et seuls. Ceux-ci finissent par s’aliéner la société dans laquelle ils vivent et sont condamnés à finir leurs jours miséreux et isolés de tous.

Pour revenir à cette dernière pièce, il n’est pas difficile de lui trouver des résonnances étranges avec notre époque tant l’histoire paraît celle d’un lanceur d’alerte. Le docteur Stockmann avertit les autorités que les eaux de l’établissement thermal de sa ville sont empoisonnées. D’abord soutenu par la presse « libérale et indépendante » (sic) et la « majorité compacte » que forment les petits propriétaires, il se verra lâcher par tous quand il apparaît au grand jour que de telles révélations entraîneraient des travaux des canalisations et un surcoût pour les petits contribuables (les gros actionnaires ne pouvant bien évidemment pas mettre la main à la poche).

Dépeint par Ibsen comme idéaliste, et à moitié fou (ce que le jeu d’Alexandra Castellon met bien en valeur), il est de plus en plus difficile pour le spectateur de suivre Stockmann à mesure qu’il insulte le public (habilement mis dans la position de la « majorité compacte »).

La mise en scène de Sébastien Bournac n’est pas sans rappeler celle de Sivadier présentée au théâtre de l’Odéon cette année, avec l’usage d’un rideau en plastique, et la position d’inconfort dans laquelle est placée le spectateur. Si les moyens ne sont pas les mêmes assurément, la mise en scène de parvient à nous faire bien saisir les enjeux du texte, et explique d’une certaine manière la mise au ban de célèbres lanceurs d’alerte contemporain (qu’on pense à Edward Snowden ou Chelsea Manning). « L’homme le plus fort au monde, c’est l’homme le plus seul » conclut Ibsen.

Marie du Boucher

 

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Mis en ligne le 27 juillet 2019