LE TIGRE BLEU DE L'EUPHRATE

Le petit Louvre
Salle Van Gogh
23, rue Saint Agricol
84000 Avignon
04 32 76 02 79

15h55

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Le tigre bleu de l'Euphrate

Vendredi 5 juillet. Depuis 14h, l'affichage est autorisé et en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, vitrines, balcons, poteaux, réverbères et autres lieux improbables se couvrent de panonceaux colorés tandis que l'on croise dans les rues surchauffées des jeunes gens affairés, ficelles en main, échelles sur l'épaule, poussant des chariots débordant d'affiches. En quelques heures, Avignon n'est plus la ville touristique qu'elle était jusque là et devient la cité du Festival, le haut lieu du spectacle vivant. La métamorphose est impressionnante et devient déjà un spectacle à elle seule.

Mais avant l'ouverture officielle du Off lundi, prochain, nombre de compagnies proposent déjà des avant-premières ou des générales ouvertes au public.

Je me rends au Petit Louvre pour assister à la version de Gilles Chavassieux du Tigre bleu de l'Euphrate.

Premier spectacle, premier coup de cœur.

Le travail est en effet remarquable.

Point de costumes ni de décors cherchant à rappeler l'époque d'Alexandre le Grand. Point d'utilisation intempestive de vidéos et autres moyens techniques à la mode.

Non, la simplicité extrême,  juste le plateau nu avec uniquement à jardin une estrade où sont installés divers instruments à percussion.

Yi-Ping Yang entre, fine silhouette en bleu nuit et noir, longue chevelure nouée dans le dos, le bras gauche recouvert d'un long gant tandis que courent sur son bras gauche des motifs géométriques emplis de larges aplats noirs ou bleus eux aussi.

Elle s'approche de ce qui me semble être une sorte de djembé. Elle l'effleure puis la caresse se fait plus violente tandis que la paume frappe la peau de gestes vifs et saccadés, que les doigts la martèlent à petits coups, que les ongles longs et vernis la griffent en crissement aigu.

Et Yannick Laurent entre en scène. Chemise et pantalon actuels. C'est un jeune homme de notre époque.

La percussionniste lui tend quelques feuillets qu'il commence à lire. C'est le texte d'Alexandre le Grand écrit au moment où il convoque la Mort pour lui raconter sa vie. Le jeune homme de notre époque commence à lire à voix haute et puis insensiblement, il devient le personnage. Il ne lit plus, il raconte, ou plutôt Alexandre le Grand se raconte. Et nous revivons avec lui l'épopée sublime et insensée de cet  homme qui mourut à 32 ans et qui dans un temps si court fit de son petit royaume le maître de l'immense empire perse, s'aventurant jusqu'aux Indes et fondant  près de soixante-dix villes, dont la plupart porte le nom d'Alexandrie.

Yannick Laurent s'approprie complètement le superbe texte de Laurent Gaudé, aussi bien son lyrisme, sa démesure  que sa poésie.

Et nous sommes en Orient, nous sentons le souffle du vent, la chaleur du sable, nous entendons le choc des batailles, nous partageons les sentiments de ces hommes rudes, nous sommes avec eux quand ils combattent furieux, quand ils pleurent sur la bravoure de ceux qui moururent au combat, quand enfin ils abandonnent, las de tant d'années passées loin de chez eux et aspirant à retrouver leur terre natale.

Gilles Chavassieux dans sa mise en scène d'une sobriété remarquable laisse toute sa place au texte si bien servi par un Yannick Laurent inspiré, regard tour à tour exalté ou lointain, présence indéniable et accompagné du son des percussions dont Yi-Ping Yang joue savamment, soulignant avec force ou délicatesse les actions et les sentiments.

C'est d'une beauté violente qui touche au cœur, et l'émotion ne cesse de nous envahir jusqu'au final, superbe : le comédien laisse tomber les feuillets, on n'entend plus que le vrombissement sourd  et qui va crescendo des deux lanières que la percussionniste fait tournoyer, Alexandre le Grand n'est plus qu'une ombre qui suit peut être enfin jusqu'au bout de ses rêves le tigre bleu qu'il aperçut un jour sur les rives de l'Euphrate.

 

Nicole Bourbon

 

 

Le tigre bleu de l'Euphrate

Texte Laurent Gaudé

Interprète(s) : Yannick Laurent, Yi-Ping Yang

Régie Générale : C. Sauvet
Mise en scène, scénographie, lumière : Gilles Chavassieux

 

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