UNE MAISON DE POUPÉE

Théâtre Le Lucernaire 
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris.
 tél. : 01 45 44 57 34

Prolongations à partir du 8 février et jusqu’au 12 mars
à 21h00 du mardi au samedi et le dimanche à 19h00.

 

Une maison de poupée loupe Photo © Pierre François

Chronique de Ivanne Galant

 

Noël en Norvège. Le sapin et les cadeaux sont bien présents chez Nora et Torvald d’autant plus que ce dernier vient d’être promu directeur de banque. Pourtant, un lourd secret vient perturber ce qui aurait pu être un foyer tiède et charmant.

Une maison de poupée est devenue un classique après avoir défrayé la chronique au moment de sa création en 1879. À l’époque, Henrik Ibsen choquait car, en faisant de son héroïne bien plus qu’un petit oiseau écervelé et dépensier, il ouvrait en quelque sorte la « cage » des femmes bien disposées à prendre leur envol. En effet, Nora n’est pas seulement la jeune femme désinvolte qui se réjouit de son bonheur familial. Telle une poupée, elle joue un jeu afin de dissimuler le lourd secret sur lequel se fonde cette apparente harmonie. Et ce secret vient frapper à la porte, sous les traits de l’imperturbable maître chanteur Krogstad. Personnage angoissant dont la menace plane sur la maison –la porte vitrée en fond de scène amplifie d’ailleurs cette impression –, c’est en semant la panique dans le ménage qu’il déclenche le processus émancipateur de Nora.

Si ces considérations nous paraissent aujourd’hui lointaines, Philippe Person réussit à offrir au public une mise en scène qui fait oublier le côté désuet que pourrait avoir ce drame bourgeois. En effet, son spectacle, servi par des acteurs dynamiques et passionnés, est réjouissant. D’ailleurs la salle sourit face à la Nora pétillante du début, rit même quand Torvald explique à la détentrice du secret combien le mensonge est dégoûtant, et rit jaune aussi en entendant les propos sexistes et révoltants du mari.

Philippe Person a choisi de ne travailler qu’avec quatre acteurs ; il réduit ainsi l’intrigue à sa substantifique moelle avec le couple protagoniste, l’opposant, Krogstad, qui vient rompre leur équilibre précaire et Christine, l’adjuvante, chargée d’aider Nora à garder le secret. La clarté de ce schéma donne à la pièce une belle unité mais n’est pas réducteur car il ouvre des pistes intéressantes sur la place des femmes dans la société de l’époque. À ce titre, l’indépendance de Christine est remarquable et a surement elle aussi dû choquer les contemporains d’Ibsen puisqu’en déménageant en ville pour trouver du travail, la veuve retrouve, par la même occasion, son ancien amour.

Un joli moment de théâtre pour (re)découvrir un classique. Notre curiosité contemporaine aimerait savoir ce que devient Nora, mais Ibsen comme Person n’en donne aucune clé, au spectateur de se l’imaginer…

 

Chronique de Bruno Fougniès

 

Ce matin-là, dans le métro, un gamin d’une demi-douzaine d’années s’est mis à hurler parce que sa mère l’obligeait à tenir la barre pour ne pas tomber. Un hurlement tellement violent qu’il exprimait une véritable douleur. Cela n’était pas un caprice mais un mal terrible qui venait soudain vriller son cerveau. Et je suis dit que devenir une femme ou un homme était une terrible mutation : comme passer d’un état animal où ses besoins et ses désirs dirigent tout, à l’apprentissage de l’obéissance… une bonne partie de l’éducation a ce but. Obéir. Mais cela ne se fait que dans un formatage de l’esprit, comme une amputation. C’était cela qu’exprimait ce cri. 

Une Maison de Poupée, écrite il y a presque un siècle et demi, se déroule dans l’appartement d’une famille à peu près ordinaire de la petite bourgeoisie. Un jeune couple avec deux enfants. Le mari, Torvald, travaille dans une banque. La femme, Nora, s’occupe de la maison. Femme soumise, infantilisée, la pièce raconte les quelques jours qui la décident à rompre avec le rôle que la société lui réserve et de quitter tout ce joli monde pour vivre sa liberté.

Philippe Person a gardé du texte original les quatre personnages principaux. Il resserre ainsi la pièce autour de Nora et enferme un peu plus le personnage dans une cage dorée sans autre référence que son mari. Il situe également la pièce à notre époque en injectant du David Bowie et un passage de « This Is The End », des Doors dans sa bande son. Le rythme est vif. Le dispositif scénique, principalement fait d’une baie vitrée en fond de scène qui définit l’extérieur, renforce l’impression que le monde ne cesse de venir persécuter l’ordre confortable dans lequel Nora vit et est destinée à vivre. Passant de la tutelle de son père à la tutelle de son mari, elle n’est qu’un demi-individu, une marotte, une enfant volontairement attardée, un caractère superficiel, un gazouillis et une danse. C’est ainsi que sa place lui a été définie. Ainsi que la veut son mari.

On sent un vrai travail, chez chacun des interprètes, pour créer des caractères forts, réels et attachants mais on peut regretter de ne pas apercevoir par moment leurs âmes. De fait, ils restent excessivement propres, bien mis et les scènes de confrontations ou de manipulations se cantonnent à un formel joli, intelligent mais porteur de peu d’émotions.

Il reste cependant que le propos d’Ibsen ressort très haut dans cette adaptation resserrée. Nora, finalement, arrache les derniers fils de son destin de poupée marionnette, s’émancipe et quitte cet état d’enfant pour devenir adulte.

Sortant dans la rue Notre-Dame des Champs et remontant vers Raspail pour y rejoindre mon métro, je repensai à cet enfant dans la rame du matin qui hurlait la douleur de cette conscience en construction, de ce voile de l’insouciance soudain déchiré. La même violence imaginée par Ibsen pour Nora lorsqu’elle quitte son foyer. Trop peu, ici, esquissée.

 

Une maison de poupée

De Henrik Ibsen
Adaptation et mise en scène : Philippe Person
Traduction : Régis Boyer

Avec : Florence Le Corre, Nathalie Lucas, Philippe Calvario, Philippe Person 

 

Mis en ligne le 13 décembre 2016