UN OBUS DANS LE CŒUR

Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 – Paris
01 42 36 00 50

Jusqu'au 12 avril
Du mardi au samedi à 19h30

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Mis en ligne le 16 mars 2014

Un obus dans le cœur

Il est des tragédies qui meurtrissent une vie.

Pour Wajdi Mouawad, dramaturge, romancier, acteur et metteur en scène né au Liban en 1968, le traumatisme de la guerre civile – qui les a chassés, lui et sa famille, de son pays lorsqu'il avait huit ans – et de l'exil vers la France, puis le Canada, marquera à jamais son œuvre.

Dans « Un obus dans le cœur », qu'il a lui-même adapté en 2005 de son premier roman, « Visage retrouvé », on reconnaît l'univers propre à ses personnages : les souvenirs douloureux, le passé occulté, la quête des origines et de soi-même, la perte d'un parent. Et, toujours, le pays natal en toile de fond.

Cette pièce courte met en scène Wahab, dix-neuf ans.

Une nuit de décembre, réveillé par un coup de fil de son frère qui l'appelle au chevet de leur mère mourante, il sort dans le froid glacial pour se rendre à l'hôpital.

Au cours du trajet, en proie à des sentiments contradictoires mêlant peurs de l'enfance, révoltes adolescentes et rage présente, il tente de reconstituer le puzzle de son passé.

À quel moment sa vie avait-elle basculé ? Où se situait la charnière entre un avant et un après ?

« On ne sait jamais comment une histoire commence », dit-t-il en guise de préambule.

Phrase d'introduction qui, comme le souligne la metteur en scène, Catherine Cohen, fait écho à l'ouverture habituelle des contes « Il était une fois ».

Et de fait, cette pièce monologue se présente comme « un conte dont Wahab est tour à tour le narrateur et le héros ».

Remontant le temps, il essaie d'identifier le traumatisme qui a abouti à la cassure.

Est-ce ce coup de fil, qui le pousse vers son ultime rendez-vous avec sa mère, où il devra faire face à la douleur de la perdre et à celle, plus difficile encore, de s'en libérer ?

Ou le jour de ses quatorze ans, où sa mère « s'est mise à avoir un autre visage » – au point que, dans un premier temps, il ne la reconnaît pas et fugue pour fuir ce visage étrange et étranger –, un « visage pâle, des yeux délavés et cette longue chevelure blonde », elle qui avait un visage « rond, les yeux verts, les cheveux coiffés avec du fixatif ».

« Elle est mince et tout le monde fait semblant que c'est normal », explique,  au psychologue chez qui on l'a traîné, le jeune garçon, ignorant de la maladie qui décharne le visage et le corps de sa mère, et fait tomber ses cheveux.

Mais, alors qu'il continue à remonter le temps, c'est un événement plus ancien qui refera surface à sa mémoire : l'attentat sanglant au cours duquel un autobus brûla avec tous ses passagers sous ses yeux d'enfant de sept ans, scène récurrente dans les écrits de Wajdi Mouawad dont il a lui-même été témoin.

Dans la chambre d'hôpital où gît sa mère, face à la mort, Wahab renoue avec sa peur d'enfant pour enfin la conjurer, la vaincre, et commencer une nouvelle vie.

Les réminiscences d'une enfance au Liban alternent avec le présent au Canada, et le comédien marque le passage de l'une à l'autre en baissant ou en rabattant sur sa tête la capuche de son sweat-shirt.

Une convention qui participe d'une scénographie épurée et éminemment suggestive.

Sur un plateau entièrement nu, deux chaises métalliques reliées entre elles et déplacées d'un endroit à l'autre suffisent à évoquer un siège d'autobus, un lit d'hôpital, la banquette d'une salle d'attente. Renversées, posées à la verticale et revêtues du manteau de Wahab, elles figurent la femme aux membres de bois, cette personnification de la Mort qui hanta l'enfance et la jeunesse de Wahab.

Tout au long de la pièce, la vidéo et un fond sonore permanent renforcent la puissance narrative.

Huma Rosentalski signe là une scénographie qui « fait penser plus à une installation d'art contemporain qu'à un spectacle », selon le comédien, Grégori Baquet.

Grégori Baquet, quant à lui, donne voix, corps, vie au personnage attachant de Wahab et sert admirablement un texte fort et « percutant, violent, mais aussi parfois drôle et toujours empreint d'une certaine poésie ».

Les émotions, les sentiments contradictoires, se peignent sur son visage et s'expriment dans ses mouvements, ses attitudes et ses paroles.

Paroles de colère et de révolte dans les trois langues, « maternelle, adolescente, et celle de maintenant » : « Va te faire foutre, gros tabarnac d'enfoiré de merde akhou charmouta ! ».

Paroles tout en douceur pour cette phrase de pure poésie, traduisant la vulnérabilité et le désarroi du jeune homme : « Le clignement de mes yeux fait fondre le givre de mes cils et c'est l'hiver au complet qui pleure sur mon visage. »

Un récit court au contenu dense.

Un texte magnifique.

Un seul en scène poignant.

Elishéva Zonabend

 

Un obus dans le cœur

De Wajdi Mouawad
Texte publié aux Éditions Actes Sud Papiers
Mise en scène : Catherine Cohen

Avec : Grégori Baquet

Scénographie & vidéo : Huma Rosentalski
Lumières : Philippe Lacombe
Création sonore : Sylvain Jacques