SAUVER LA PEAU

Théâtre Ouvert
4 bis, Cité Véron
75018 Paris
01 42 55 55 50

Jusqu’au 14 février
Mardi à 19h00, mercredi à vendredi à 20h00, samedi à 18h00

loupePhoto © Christophe Raynaud de Lage

C’est comme des dommages collatéraux. Des dégâts en marge des habitudes, des structures et des cellules. Des effets pas forcément désirés ni envisagés que peuvent avoir les mots, les comportements ou les absences de… sur la sensibilité des humains.

Le personnage qui se dresse sur scène et s’adresse directement au public semble comme une balle de tissu balancée d’un côté à l’autre. D’un côté, le carcan familial dont il ne cesse de s’extraire et de buter contre… de l’autre, le carcan de l’institution éducative dont il vient de démissionner, mais qui ne cesse de le balloter encore, de revenir le hanter, l’interroger, le persécuter de ces images violentes qu’il a vues durant sa mission d’éducateur pour adolescent psychologiquement fragilisé, comme il est dit…

Les souvenirs, les regrets, les colères se croisent et se chevauchent dans le discours segmenté de ce personnage. Une parole qui s’arrête à chaque mot, reste en suspens, reprend, et finalement ne met jamais un point final car l’histoire, le vécu ne cesse de vouloir envahir le présent.

Dans ce texte, David Léon sculpte dans la matière du silence une parole qui peine, atone, comme si l’effort de dire puisait, épuisait toutes les forces du personnage qui les apporte, toutes ses émotions. C’est un être vidé. Il ne reste plus rien que cela : une parole qui veut faire sens de tous les mots.

Alors le discours est enchevêtré de facettes qui se répondent ou pas, qui sont toutes des sortes de blessures pâles, presque livides, qui se rencontrent là au confluent des peines de l’enfance familiale et de celles de la vie d’adulte, dans ce milieu très particulier des institutions d’éducations spécialisées. Deux institutions (la famille, l’état) qui se retrouvent là, dans le même élan, la même volonté de briser l’homme qui parle devant nous.

De quoi parle-t-il ? De son frère, mort face à un train, de ces enfants psychologiquement fragilisés qu’on blesse avec des mots ou qui blessent avec des mots, de cette homosexualité repoussée par père, mère, et le reste…

Pour rendre encore plus perceptible cet intime brisé en éclat, Hélène Soulier et sa scénographe Emmanuelle Debeusscher ont placé ce porteur de parole sur un immense miroir brisé. Sa silhouette apparaît d’abord lointaine dans des cadres longs et fins comme des meurtrières, un univers géométrique, représentatif des cadres de l’institution. Sa diction segmente les phrases, avec douceur, presque neutralité, comme pour échapper au pathétique qui pourrait fuir de ces mots, de ces histoires sans violence apparente, ces non-dits, ces rejets, ces phrases assassines qui sont comme de l’acide et rongent, rongent des années après.

Dans cet exercice périlleux,  Manuel Vallade semble équilibriste, marchant mot à mot au-dessus du vide. Son interprétation est rigoureuse, rigoureusement rythmée, captant l’attention des spectateurs par la tension qu’il propulse avec ses paroles, avec l’énergie soudain lâchée par moments qui explosent. Tout tient à cette intensité, presque cette droiture qu’il doit porter de bout en bout pour que les flux d’histoires différentes, entrecroisées que portent son personnage trouvent l’unité. Même si cette unité est une perpétuelle défaite face au temps. Même si l’espoir de réparer ou de changer l’histoire rôde encore en vain. Même si on ne peut rien changer au passé.

Il y a, dans ce spectacle, ce texte, une vision extrêmement âpre de la vie en société. Pas une lune, pas un soleil, pas une étoile qui fasse s’évader de la réalité. Une vision presque désespérée, une extension du vide qui donne à contrario une belle envie de vivre.

Bruno Fougniès

 

Sauver la peau

Texte David Léon
Conception – mise en scène et dramaturgie Hélène Soulié
Scénographie Emmanuelle Debeusscher, Hélène Soulié
Costume Catherine Sardi
Lumières Maurice Fouilhé
Vidéo Maia Fastinger

Avec Manuel Vallade

 

Mis en ligne le 28 janvier 2015

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