RIVIERA

Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 – Paris
01 42 36 00 50

Jusqu'au 24 mai
Du mardi au samedi à 21h15

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Mis en ligne le 16 avril 2014

Riviera

« Sur les bords de la Riviera où murmure une brise embaumée », comme chantait l'autre, et comme ne chantait pas Fréhel à laquelle la pièce d'Emmanuel Robert-Espalieu rend un vibrant hommage.

Fréhel, elle, elle chantait plutôt le Paris de la zone et de Pigalle, les beaux mâles et les filles de la nuit, la coco, le cafard, les amants emportés par le temps, la vie à la dérive avec, pour faire bonne mesure, un petit air plus entraînant, mais toujours mélancolique, du côté d'une java bleue qu'on danse, paraît-il, les yeux dans les yeux.

Bref, pas la joie, mais de la bonne humeur dans la solitude et la dèche. Et tout ça, elle ne l'a pas seulement chanté, mais elle l'a aussi vécu, en chanteuse réaliste qui vivait ses chansons et chantait sa vie.

Fréhel, c'est d'abord une jeune beauté sortie tout droit de la Belle Époque, que la Belle Otéro, pas moins, prend sous son aile, peut-être entre ses draps, et qui lui met le pied à l'étrier. Fréhel est très vite adulée par le Paris d'avant 14, le populo, mais aussi les gens de la haute qui viennent s'encanailler à Pigalle et sur les grands boulevards. Elle chante dans les plus célèbres cafés-concerts. Elle brûle la vie par les deux bouts. C'est une noceuse, comme on disait alors, un brin autodestructrice. Elle aime la picole, la came et les hommes. Et surtout un d'entre eux : Maurice Chevalier, jeune parigot qui débute, et la plaquera pour une valeur plus sûre et moins destroy, Mistinguett. Et tant pis pour le grand voyage qu'il avait promis de faire avec elle sur la Riviera. Le grand voyage qui commence alors pour Fréhel, c'est celui de la déchéance dans la drogue, l'alcool et la misère jusqu'à un hôtel de passe de la rue Pigalle où elle finira ses jours.

C'est dans cette chambre d'hôtel qu'Emmanuel Robert-Espalieu convoque Fréhel pour nous, au soir de sa vie. Là, Fréhel reçoit des visites : celle, chaque soir d'un fantôme, celui de Maurice Chevalier, qui revient indéfiniment, avec sa promesse de la Riviera, raviver la douleur d'un amour perdu dont elle crève ; celle d'une jeune fille qui vient apprendre à chanter, seule tendresse humaine autour d'elle ; puis, enfin, celle de la mort pour une dernière valse ou java.

Et Fréhel, pour nous, sur la scène des Déchargeurs, c'est Myriam Boyer. Autant le dire sans faire de chichis, elle est géniale, scotchante, émouvante, elle nous impose sa Fréhel au point qu'on sentirait presque la vraie Fréhel, juste là, derrière le paravent, en train d'observer, la clope au bec, avec sa malice et sa gouaille le bel hommage qu'on lui rend.

Myriam Boyer se fait Fréhel avec un art qui se déploie tranquillement sous nos yeux dans une évidence qui a la suprême élégance de sembler naturelle, aller de soi, ce qui est à la mesure de l'immense talent qu'il faut pour ce faire.

On en oublie même – c'est dire – que le décor et les costumes sont un trop proprets pour les uns et trop bien repassés pour les autres (Ah, la blouse de Fréhel, elle n'a pas un faux pli ni une brûlure de cigarette) pour restituer un tant soit peu cette atmosphère terrible de dèche, de déchéance et de solitude. Qu'importe : les coups et les blessures de la vie de Fréhel, c'est Myriam Boyer qui les porte et qu'elle nous balance au détour d'une réplique, d'un regard, d'un geste, d'une de ces chansons qui sont restées dans sa mémoire et dans la nôtre : celles de Fréhel.

Philippe Loubat-Delranc

 

Riviera

D'Emmanuel Robert-Espalieu
Mise en scène et création lumières Gérard Gélas, assisté d'Arny Berry.

Avec Myriam Boyer, Edwige Lemoine et Clément Rouault. 

Costumes Christine Gras
Son Jean-Pierre Chalon