POUR UN OUI OU POUR UN NON

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs
75006 PARIS.
Du mardi au samedi à 20h.
01 45 44 57 34

 

Comme souvent chez Nathalie Sarraute, le point de départ est infime, dérisoire : il s'agit juste d'une façon de traîner sur un mot et d'une pause avant de finir la phrase. D'où cette brouille entre deux amis. L'explication tarde à venir. Nous sommes dans le domaine du non-dit, justement : « Ce n'est rien qu'on puisse dire ! » répète un des personnages, celui qui souffre. Pressé de questions, il finit par lâcher que oui, il s'est cru incompris, méprisé, il lui a semblé que l'autre, mine de rien, le renvoyait dans la médiocrité de sa petite vie.

Bien sûr, vu comme ça, on se demande à quoi va ressembler une telle pièce : eh bien, c'est une épopée. Une cavalcade minuscule (et éperdue) autour de ce qui fait l'essentiel des êtres, leur langage qui, chacun le sait, est toujours révélateur de mille et une autres choses habituellement tues. L'art de l'auteur consiste, précisément et assez vite, à mettre l'accent sur les mots, sur les silences des deux personnages, au point que nous nous retrouvons, comme eux, attentifs à chaque nuance. Il aura suffi de ce « C'est bien, … ça ! » qui met le feu aux poudres, pour que nous traquions, à notre tour, tout ce qui pourrait trahir des différences d'approche, une opposition de deux philosophies.

Nous voici au cœur du problème : après avoir tergiversé et manqué, à plusieurs reprises de se brouiller à mort, les deux personnages prennent peu à peu conscience que l'un est yin, l'autre yang, que la velléité de l'un s'oppose à l'énergie de l'autre. « Autour de toi, assène l'un à son ami, tout est inconsistant ! » Ils sont, en fait, les deux faces d'une même médaille. La ressemblance entre les deux comédiens accentue cette sensation : ces deux hommes mûrs sont interchangeables, et chacun paraît chercher en l'autre ce qui lui manque. Jacques Brücher et Yedward Ingey sont sobres et précis : leurs déplacements et gestes sont bien sûr au service du texte de Nathalie Sarraute. Pantalon et chemise pour costumes, importance donnée à la position de chacun dans l'espace : au départ, l'un est assis par terre et l'autre penché sur lui. Puis ils se lèvent. Arpentent l'espace étroit mais merveilleusement adapté du Théâtre Noir. Enfin une chaise apparaît, puis une deuxième, … nous sortons de la préhistoire des affects bruts, la civilisation est en marche. On pourrait croire que l'apaisement va venir, mais non, la station assise, au contraire, va permettre à chacun de mieux développer son propos. Un terrain d'entente surgit. On se relève. Tout n'est pas résolu pour autant. Il faudra encore des siècles (une bonne demi-heure) pour que la raison l'emporte. Provisoirement.

Bravo à René Loyon pour sa mise en scène parlante sans être redondante. Elle donne à lire au mieux, le texte de Sarraute. Pour ce qui est des éclairages, ils sont efficaces, dessinant avec netteté les deux protagonistes. Quand ils sont à l'avant-scène, on a vraiment l'impression d'un « gros plan » théâtral, bel effet.

Au final, un spectacle sur le fil, lourd de questions et qui touche autant l'intelligence que la sensibilité. La vie, quoi.

 

Gérard Noël

 

 

Pour un oui ou pour un non

Mise en scène de René Loyon.

Avec Jacques Brücher et Yedwart Ingey et les voix de René Loyon et Laurence Campet.

Scénographie : Nicolas Sire.
Lumières : Laurent Castaingt.
Dramaturgie : Laurence Campet.
Direction technique : François Sinapi