Chronique des oubliés du Tour

 

 

Des oubliés à ne pas oublier

 

Un hôtel dans une petite ville de province où va passer le tour de France. Un gardien de nuit manchot, trois femmes de chambre, une cliente, un journaliste, la patronne vont nous faire partager leur quotidien le temps d'un week-end. Sur ce thème, l'auteur Gilles Granouillet,  et Françoise Maimone, metteur en scène, vont nous emmener pour une plongée dans un univers terne et banal à faire frémir.

Le décor est sobre, simplement rythmé de six courtes colonnes. Au fond, une porte qui ne veut pas s'ouvrir. Sans cesse, les personnages vont se heurter à cette porte close. Au final, sa réparation marquera la fin de la pièce.

Le texte est dense, superbement écrit. Véritable challenge pour un metteur en scène. Comment en venir à bout ? Comment donner vie à ces personnages sans les noyer sous ce flot de paroles ? Il faut lire et relire pour s'en imprégner, décortiquer chacun pour le créer à son tour. Trouver les gestes, les attitudes qui correspondront parfaitement aux paroles, les deviner au travers de ce qu'ils disent ou ne disent pas, les non-dits étant ici aussi importants que les mots.

C'est une triste humanité qui nous est dépeinte. Mais en même temps, par la grâce de la mise en scène et de la direction d'acteurs, on se prend à s'attacher à ces pauvres êtres qui mettent leur âme à nu. Ils sont si terriblement humains tous, avec leurs peurs (de perdre leur travail ou d'avouer leur amour), leurs petites mesquineries, leur refus d'une réalité trop laide mais qui se fera jour quand même. Que d'émotions se sont bousculées en ces deux petites heures, sans artifices inutiles, juste par la magie des mots et du jeu des acteurs, alors qu'il ne se passe rien ou pas grand-chose, pas de rebondissements, de retournements de situation, simplement la vie qui s'écoule, avec son lot de misères mais aussi de petits bonheurs simples. Comme de suivre le Tour sur l'écran de télévision, le direct, le résumé, avant le Tour, après le Tour.

Les interprètes sont jeunes, tous les sept. Deux surtout se détachent. Xavier Picou, qui interprète le gardien, est exceptionnel. Il est tour à tour énervant et attendrissant. Parfois, (souvent), emporté par son impétuosité, il bafouille. Mais ce bégaiement ne gêne pas, il convient bien au personnage, il aurait même pu en jouer davantage, en faire une caractéristique du personnage. Anne-Lise Guillet, la petite, est littéralement sidérante, confondante de naturel. Tous vivent leur personnage. On y croit, on partage réellement avec eux ce moment de vie. Tellement qu'au moment du salut, lorsqu'ils redeviennent eux-mêmes, il faut un moment pour revenir à la réalité, comme lorsqu'on termine un livre qu'on a beaucoup aimé.