MONKEY MONEY

Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud
75011 Paris
01 47 00 25 20

Jusqu’au 25 septembre 2016,
du mardi au vendredi à 20h00
samedi 19h00, dimanche 16h00

Puis du 11 au 14 octobre à Montluçon
Théâtre des Ilets, CDN de Montluçon
04 70 03 86 13

 

Monkey Money loupePhoto © Simon Gosselin

Deux familles aux opposés extrêmes.

L’une fait partie des dix familles les plus riches du pays : le grand patron patriarche – vieillard tout puissant, un sourire bonasse qui cache un visage de calcul – sa fille, qui se prénomme K, rendue exsangue par cet univers patriarcal qui ne respecte que les mâles, et le futur gendre – jeune loup aux dents acérées ivre de réussite et prêt à  tout pour faire partie des puissants.

L’autre famille vit dans la pauvreté la plus crasse, bâtiment 2 : le père en fin de droit de chômage, le fils à traficoter tout ce qui passe, la fille, Léa, cherchant à monnayer son sexe sur internet, le grand-père comme un poids mort et la mère qui invective, tempête et s’arrange avec ce qui passe.

Presque des caricatures. Mais quand d’autres auteurs auraient disséqué ces deux familles comme on observe une expérience de laboratoire en laissant flotter ces familles à l’état théorique, froid, sans chair, Carole Thibaut, elle, fournit à chacun de ses personnages un souffle de vie qui attache.

L’attrait de ce texte est dans le traitement de ces deux extrêmes que tout semble différencier, mais qui sont chacun à leur manière prêts à tout donner pour le fric ou le pouvoir. Les mêmes règles dirigent les actes dans les deux univers.

Pas de victimes ni de bourreaux dans cette pièce dénuée de tout manichéisme et de tout pathétisme. Tous sont menés et meneurs d’un système qui les broie mais les fait espérer, s’endetter et se corrompre : l’argent. Tous sont, au départ, très minables.

C’est une fresque que Carole Thibaut et ses comédiens, extrêmement justes - tous interprétant leurs rôles dans la mesure exacte du crédible et ne s’baissant jamais à la caricature – nous donnent à voir et à penser. Dès la première image (projection hésitante d’un visage jeune et beau sur la palissade translucide qui coupe le plateau sur toute sa hauteur) on est comme devant l’apparition d’une idole géante qui murmure à nos oreilles… qui murmure… qui murmure la proposition du sexe tarifé, détaillée avec juste la retenue qu’il faut et le concret utile, attrayant… et repoussant…

Tout est presque dit dans cette première scène projetée : il s’agit des droits qu’ouvrent cet argent (devenu de nos jours un besoin aussi vital que l’air et plus vital que le bonheur), des droits qui ouvrent les parties les plus intimes d’un corps juvénile, des droits qui libèrent les facettes les plus serviles d’une âme et les plus corruptibles des cœurs. Argent, crédit, espoir, pouvoir… vivre.

Dans cette pièce qui est tout sauf un réquisitoire mais une épopée humaine, Carole Thibaut creuse au fond de ses personnages à la recherche de cette petite étincelle d’humanité qui donnera sens à ce monde, à la vie. Il faut d’une certaine manière qu’ils subissent le pire, l’enfer pour pouvoir trouver en eux, sans le savoir, sans que la raison ne soit de la partie, le choix de vivre autre chose, le choix de construire autre chose que ce monothéisme qu’est l’argent.

Instants magiques comme ce court échange entre le père, sur le point de s’immoler par le feu parce qu’il ne peut rembourser son crédit, et la fille du milliardaire : il lui donne sa fille. Mais ce n’est pas un contrat comme tous ceux que chacun signe, donnant, donnant à longueur d’existence, il lui donne sa fille et ce faisant, il lui donne le titre de mère. Quelque chose alors tente d’éclore en dehors du système. Une force de vie, comme une naissance.

La fresque prend alors des allures de fable, d’errance initiatique, avec la lucidité et l’espoir naïf que cela suppose.

La bascule est brutale mais efficace. Le mur translucide, qui protège le monde des riches de la vue des pauvres, s’écroule au sol et l’on découvre une perspective incertaine, lointaine mais lumineuse. Un no man’s land comme une route tracée dans une campagne incertaine.  Et les deux femmes,K et Léa, deux errantes. K ayant déchiré pour toujours les fibres qui la reliaient à sa famille, au pouvoir et à l’argent pour s’inventer une nouvelle liberté. Léa suivant presque instinctivement cette femme inconnue qui se donne comme une nouvelle mère, qui semble être la première personne à ne rien d’exiger d’elle en échange. Ce n’est pas un contrat qui lie ces deux-là, c’est quelque chose qui peut s’apparenter à de l’affection, sans contreparties, c’est peut-être la volonté de parvenir à recréer le fil de la civilisation entre passé, présent, avenir; une manière de respecter le sacrifice du père et d’envisager ensemble construire quelque chose.

Tout le spectacle est rythmé par des projections graphiques qui éclairent une voix comme sortie du néant, une plainte de l’âme volatile. Un contrepoint salvateur à l’implacable vision réaliste des scènes.

La dernière prouesse du texte de Carole Thibaut et de sa mise en scène à la fois imposante et simple est de ne jamais laisser entrevoir la suite de l’histoire. C’est le souffle suspendu au temps qui coule de la bouche des acteurs que l’on se laisse emporté par l’histoire.

Quelque chose de beau, de fier, de nécessaire se dégage disséminé tout au long de Monkey Money : l’impression de voir à plusieurs moment l’âme humaine tenter d’apparaître. A vous filer un grand et beau frisson d’espoir entre les omoplates.

Bruno Fougniès

 

Monkey Money

De Carole Thibaut
Scénographie, création lumière et vidéo Antoine Franchet
Costumes Magalie Pichard
Chorégraphie Philippe Ménard
Assistanat à la mise en scène Noémie Regnaut, Victor Guillemot
Composition musicale Jonas Atlan
Régie lumière Sébastien Marc

Crédit photo © Simon Gosselin

Avec 

Thierry Bosc, Charlotte Fermand, Michel Fouquet, Carole Thibaut en alternance avec Valérie Schwarcz, Arnaud Vrech

 

Mis en ligne le 14 septembre 2016