MODI

Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
01 46 06 49 24

Jusqu’au 31 décembre
Du mardi au samedi à 21h00
Le dimanche à 15h00

 

Modi loupe 

Médecin de son état et passionné d’écriture depuis sa jeunesse, Laurent Seksik met entre parenthèses l’exercice de la médecine au début des années 2000 pour se consacrer à la littérature.

Auteur de huit romans, dont deux – Les derniers jours de Stephan Zweig et Le Monde d’hier – seront adaptés au théâtre, il nous offre sa dernière pièce, Modi, créée tout récemment, le 10 octobre 2017, au théâtre de l’Atelier.

Modi comme Modigliani.

Modi comme… maudit ?

« Après la trilogie romanesque Zweig, Einstein, Gary, je voulais raconter le destin tragique et lumineux de Modigliani », confie l’auteur.

Destin tragique s’il en fût puisque, à l’aube d’être reconnu artistiquement après une vie de misère, le peintre meurt de tuberculose à trente-six ans suivi, le surlendemain, par sa muse et compagne, Jeanne Hébuterne, mère d’une petite fille d’un peu plus d’un an et enceinte de neuf mois, qui se défenestre de désespoir.

La pièce raconte les trois dernières années de la vie du peintre et de sa muse, de 1917 à 1920.

Mais que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’une tragédie !

Mieux, la pièce est très drôle et les rires – nombreux – des spectateurs, donnent raison au sous-titre de la pièce, publiée chez Flammarion : La vie de Modigliani : Tragédie et Commedia dell’Arte.

Pendant un peu plus d’une heure et demie, nous partageons avec bonheur le quotidien de ce peintre en mal de reconnaissance, que pimentent les visites d’Eudoxie Hébuterne, mère de Jeanne, qui le déteste cordialement et ne le cache pas.

Cette dernière, femme stricte et austère, voit d’un très mauvais œil le concubinage de sa fille avec ce peintre dépravé et sans le sous, Rital de surcroît et Juif pour couronner le tout.

Leurs rencontres donnent lieu à des échanges caustiques qui prennent la forme de piques empreintes d’un humour acerbe et corrosif, qu’ils s’envoient avec un sens de la repartie sidérant et une verve absolument hilarante, sous le regard impassible de Jeanne qui voudrait, tout de même, que sa mère et l’homme qu’elle aime soient moins à couteaux tirés.

« Il faudra bien qu’un jour vous ayez de meilleurs rapports », déclare-t-elle.

« Ta mère et moi avons des rapports très équilibrés. Elle me hait autant que je la déteste », rétorque Modigliani.

Chacune des répliques de ce peintre au verbe haut en couleur est de la même veine et donne à la pièce une tonalité désopilante et un rythme impétueux.

Fréquente également l’atelier le marchand Léopold Sborowski, dit Zbo, ami et mécène de Modigliani.

Soucieux d’améliorer le quotidien du couple, il passe régulièrement à l’atelier pour annoncer ce qu’il espère être de bonnes nouvelles : ventes de tableaux, exposition en perspective, mais se heurte inévitablement aux sautes d’humeur et aux colères du peintre, qu’il essuie avec bienveillance et philosophie, ce qui donne, là aussi, des scènes pleines de drôlerie.

On ne s’ennuie pas une seconde.

Grâce à une direction d’acteurs particulièrement efficace, on n’observe aucun temps mort, et, grâce à un décor ingénieux, le spectateur est entraîné de l’atelier lugubre de Montparnasse à celui de Nice, plus confortable et plus lumineux que celui de Paris, en passant par la Rotonde, où le peintre se détruit dans l’absinthe.

D’un lieu à l’autre, les personnages évoluent avec aisance et naturel.

Ils sont tous excellents.

Stéphane Guillon, plus connu comme humoriste et chroniqueur télé, confie lors de l’émission On n’est pas couché, que sa mère le trouvait trop vieux pour le rôle.

Certes, Amedeo Modigliani est mort à 36 ans et Stéphane Guillon a quelques années de plus, mais que Madame mère se rassure : il est parfaitement crédible dans son rôle, même s’il a gardé sa chevelure et sa barbe poivre et sel, et son interprétation d’un Modigliani extravagant, colérique et hilarant emporte l’adhésion du public.

Geneviève Casile – de l’Académie française, est-il besoin de le préciser ? – est magistrale et drôle à la fois dans la peau d’Eudoxie Hébuterne, cette mère rigoriste et prompte à la repartie qui ne peut se résoudre à accepter la vie de bohême qu’a choisie sa fille.

Sarah Biasini, elle, a poussé la conscience professionnelle jusqu’à être enceinte (si l’on en croit la rumeur) comme son personnage, qu’elle incarne avec une grâce et une présence émouvante.

Quant à Didier Brice, il n’est pas en reste dans cette distribution, et c’est avec justesse et sobriété qu’il campe ce marchand de tableaux fidèle et dévoué qui supporte avec stoïcisme les éclats de ce peintre sulfureux en quête de reconnaissance.

Didier Long, le directeur de l’Atelier, assure avec brio la mise en scène de ce qu’on pourrait appeler, pourquoi pas, un biopic théâtral, tant les scènes s’enchaînent avec une fluidité qu’on trouve plutôt au cinéma.

En conclusion, cette pièce, bien qu’elle soit le récit d’une histoire qui finira mal, comme l’avait pressenti la mère de Jeanne, est un véritable bain de fraîcheur où le spectateur se laisse aller au plaisir de rire sans retenue.

Elishéva Zonabend

 

Modi

De Laurent Seksik
Mise en scène : Didier Long

Avec : Stéphane Guillon, Geneviève Casile, Sarah Biasini et Didier Brice

 

Mis en ligne le 18 octobre 2017