LUCES DE BOHEMIA

Théâtre 13 Seine
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
01 45 88 16 30

Le dimanche 2 décembre à 16h

 

loupe 

En guise de clôture du 37e festival Don Quijote, le Théâtre 13 accueillait la Compañía de Teatro Clásico de Séville pour une mise en scène d’un véritable chef d’œuvre du théâtre espagnol, Luces de Bohemia, Lumières de Bohème, de Ramón del Valle Inclán. Si le texte date des années 1920, le metteur en scène Alfonso Zurro a relevé le pari – pourtant risqué mais amplement réussi – d’augmenter le texte originel par des scènes qui sont autant d’échos à l’actualité, affirmant sa position en faveur d’un théâtre non figé.

La pièce raconte la dernière nuit d’errance de Max Estrella, le plus grand poète espagnol, aveugle mais clairvoyant, non reconnu à sa juste valeur et visiblement ruiné au point de laisser son manteau au clou. Dans cette version, le point de départ est l’enterrement de l’illustre poète et c’est ensuite son fidèle comparse, fidèle comme un chien mais fourbe comme renard, don Latino de Hispalis, qui raconte la dernière nuit de son maître, sous les effluves de l’alcool et sur fond de conflit social.

Tel un via crucis dans l’obscurité des rues madrilènes et les lumières de ses cafés et autres tavernes, les spectateurs suivent les pérégrinations du duo qui n’a rien à envier à don Quichotte et Sancho Panza. Les acteurs, qui changent constamment de tenue, et donc de rôle, parviennent à recréer tout un monde qui tourbillonne autour des deux protagonistes au fil de la nuit : le libraire Zarathoustra, le tavernier Pica Lagartos, Enriqueta la Pisa Bien, le prisonnier catalan, les deux prostituées, la fille et l’épouse de Max, entre autres. Apparaît même Valle Inclán, là où le texte premier se référait à Rubén Darío : Alfonso Zurro transpose ce passage en un dialogue entre l’auteur et son personnage, très réussi. Il ne s’agit pas de la seule modification orchestrée par le metteur en scène : ces ajouts peuvent parfois surprendre le spectateur non averti qui les remarquera aisément d’entrée de jeu, mais curieusement, plus le temps passe et plus ils s’intègrent avec aisance dans l’économie de la pièce d’origine.

Il faut dire que les acteurs sont particulièrement talentueux et la mise en scène très travaillée. Le décor est fait de caisses de bois assez rudimentaires mais leur disposition marque les différentes phases du périple et leurs déplacements plus ou moins violents servent l’ambiance sonore du spectacle. Les costumes, plein de coups de pinceaux, ainsi que le maquillage exacerbé donnent aux personnages l’apparence de pantins masqués et servent le propos de Valle : donner à voir, par le biais de cette forme d’expression qu’est l’esperpento, le grotesque et la déformation de la société. Autre procédé bienvenu, les didascalies, porteuses d’une esthétique particulière et relevant d’une poésie presque irreprésentable sur scène en raison de leur complexité sont ici clamées par les acteurs qui s’imposent à la façon d’un chœur antique chargé de raconter la tragédie de l’histoire de l’Espagne. La musique et les lumières participent également de la création d’un univers qui, si particulier soit-il, fait douloureusement écho à bien des problématiques contemporaines.

Ivanne Galant

 

Luces de Bohemia

Teatro Clásico de Sevilla – Andalucía
D’après l’œuvre de Ramón del Valle Inclán
Texte français de Serge Salaün
Mise en scène : Alfonso Zurro

Avec : Roberto Quintana, Manuel Monteagudo, Juan Motilla,  Amparo Marín, Antonio Campos,  Rebeca Torres, Juanfra Juarez Sivia Beaterio, José Luis Bustillo

 

Mis en ligne le 5 décembre 2018