LORENZACCIO

Théâtre de l'aquarium
La Cartoucherie
Route du champ de manœuvre
75012 Paris
Tél : 01 43 74 72 74

Jusqu’au 15 octobre 2017
du mardi au samedi 20h00
Dimanche, 16h00.

 

Lorenzaccio loupePhoto © NicolasGuitierrez

Article de Gérard Noël

 

Pièce réputée injouable (avec ses quatre-vingts personnages et trente-six décors) elle a pourtant été pas mal représentée, depuis la toute première fois en 1896. Avec Sarah Bernardht dans le rôle-titre, s’il vous plaît.  Catherine Mornas en propose une version « resserrée » avec un décor évolutif et huit comédiens seulement.  Cette pièce, rappelons-le, se situe en Italie, à Florence précisément, en 1537. Elle tranche singulièrement avec le reste de l’œuvre de Musset : c’est SA grande œuvre. Elle louche vers Shakespeare, avec son bruit, sa fureur, même si le héros Lorenzo, est dans une dualité action/renoncement, qui en rappelle d’autres. Ici, tout est politique et le privé se mêle étroitement au « public ». Musset en « emprunta » le sujet à George Sand, celle-ci le tirant d’une chronique inspirée d’événements réels. La fin de l’histoire est toutefois modifiée… et Lorenzo s’en ira vers son destin.

La scène introductive, destinée à nous mettre en appétit, ne manque pas sa cible. Il s’agit d’une fin d’orgie : ça danse, ça crie sur une musique électro : maquillages outranciers (celui d’Alexandre de Médicis évoque Alice Cooper) et chute de confettis rouges dont la scène restera jusqu’au bout parsemée. Puis les éléments s’assemblent. Ils s’assemblent peu à peu… et dans une certaine diversité, car l’intrigue est complexe. Grâce à la fluidité de la mise en scène, on suit. Le duc Alexandre courtise en vain la sœur de Lorenzo, son compagnon de débauche, tout en continuant à entretenir une relation avec la marquise Cebo. La famille Strozzi ourdit un complot contre ce tyran. Lorenzo, prenant fait et cause pour les Florentins, annonce qu’il va tuer Alexandre.  C’est là, véritablement, que se noue la tragédie. On retrouve l’art consommé de Musset de faire vivre un héros « romantique », de nous le présenter avec ses failles et sa détermination suicidaire, mêlées.

Les « mots » abondent : « Le tort des livres et des historiens est de nous montrer les hommes différents de ce qu’ils sont. » ou encore, quand le débauché Lorenzo se révolte : « Crois-tu que je n’ai plus d’orgueil parce que je n’ai plus de honte ? » Avec un certain nombre de « signes » relais, comme la perruque blonde de Lorenzo, la guêpière de la marquise Cébo, l’épée de Pierre Strozzi… la mise en scène se veut claire. Elle y réussit. C’est juste que, parfois, le texte s’écoute un peu. Reste que cette pièce mythique est ici présentée au mieux. On en savoure les péripéties, oscillant entre modernité et classicisme. Les prestations de Julien Duval (Alexandre) Jules Sagot (Lorenzo) ou Franck Manzoni (Philippe Strozzi) sont efficaces. À voir, donc, sans hésiter.

 

 

Article de Bruno Fougniès

 

C’est toujours « un » Lorenzaccio que l’on monte, que l’on montre. Le texte de Musset a toujours été l’objet, du fait de sa dimension énorme, d’adaptations qui sont en générale des coupes, des visions personnelles. Dans la vision de Catherine Marnas, Lorenzaccio est un reflet prémonitoire de notre époque.

Un monde où d’un côté, les puissants sont tout-puissants (grâce à la force militaire, l’argent, les alliances religieuses ou autres) et où les gens honnêtes, les hommes et les femmes de bonnes volontés, les démocrates véritables et les érudits sont bafoués ou pervertis.

Il s’agit ici de pouvoir, de lutte pour le pouvoir, et d’idéal en berne.

Sur scène c’est la fête. Fête des sens et de la débauche du duc de Florence et de son favori, Lorenzaccio qui en carnaval s’agitent pour mieux jouir dans la musique techno. L’enjambement est direct du 16ième siècle où se déroule l’action, à notre contemporain de boîte de nuit ou de fête anniversaire à grand coups de canons à confettis. Cela se joue sur un rythme vif, qui favorise les images et les ambiances  aux tonalités différentes des scènes.

Catherine Marnas projette sur le plateau, avant toute chose, la frénésie en marche dans une cité dominée par la volupté de l’instant. Personne n’a le temps. Et l’humeur du pouvoir est le climat. Très présent. Aussi, du début à la fin, cette mise en scène est une course. Une course qui se fait dans une espace scindé en deux par un rideau de boucherie géante. De ces pans de plastiques transparents qui rompent les courants d’air. Derrière, les scènes de foules, les visions orgiaques éphémères, les réunions démocratiques clandestines…. Au premier plan, un espace grand comme une arène qui servira à tout, avec un canapé sur roulettes manipulé par les acteurs.

Difficile d’avoir une opinion tranchée sur cette mise en scène. Tout est très personnel dans cette pièce. Chacun, je pense, possède son Lorenzaccio. Celui de Catherine Marnas, est très universel. Il se veut porteur du discours de la jeunesse actuelle, prise entre l’envie de changer le monde et l’impression que tout ce qui sera fait sera récupéré par ceux qui sont en place.

Il me semble qu’à vouloir parler pour tous, la pièce perd force. Le particulier a plus de force que l’universel.

Pour ma part, certaines scènes, certains aspects du personnage de Lorenzaccio – entre autres les courtes scènes avec sa mère et sa sœur (et des aspects un peu divergeant) manquent pour que l’on s’attache à l’action et que l’on comprenne le personnage, et que l’on parte avec lui dans la nuit qui sut.

On se demande pourquoi (hormis la caution de belle écriture d’un Musset) pourquoi ne pas avoir monté un spectacle de toute pièce, traitant d’un acte révolutionnaire, libérateur, qui soit une création totale, actuelle ou futuriste, quitte à reprendre en partie la trame de Lorenzaccio ?

Les despotismes ne manquent pas de proliférer dans ce monde, seules les révoltes démocratiques manquent à s’exprimer.

Malgré toutes ces retenues – qui ne sont dues qu’à l’admiration d’un texte qui allie, à la hauteur d’un Shakespeare, le politique, l’intime, la folie et la nécessité de vivre – le Lorenzaccio de Catherine Marnas est capable de résonner au cœur de la jeunesse actuelle car il fouille à l’exact endroit du doute.

 

 

Lorenzaccio

Texte : A. de Musset.
Mise en scène : Catherine Mornas, assistée d’Odle Lauria.
Scénographie : Cécle Léna, Catherine Marnas.
Lumière : Michel Theuil.
Création sonore : Madame Miniature, avec la participation de Lucas Lelièvre.
Costumes : Édith Traverso, Catherine Marnas.
Maquillage : Sylvie Cailler.
Construction décor : Opéra National de Bordeaux.
Régie lumière : Anna Naigeon Tubiana.

Avec : Clémentine Couic, Julien Duval, Zoé Gauchet, Francis Leplay, Franck Manzoni, Jules Sagot, Yacine Sif El Islam, Bénédicte Simon.

 

Mis en ligne le 1er octobre 2017