LES SOUVENIRS D'UN PAUVRE DIABLE

Au théâtre du Marais
37 rue Volta
75003 PARIS
01 45 44 88 42
Jusqu'au 22 décembre 2012.
Jeudi, vendredi et samedi à 20h45

Qui se souvient encore d'Octave Mirbeau (1848-1917) ? On pense peut-être au « Journal d'une femme de chambre » grâce au film de Luis Bunuel, au « Jardin des supplices » dont on ne connaît souvent que le titre. On a un vague souvenir des aventures du sieur Lechat dans la pièce « Les affaires sont les affaires ». On néglige Mirbeau. On a tort.

Anne Revel-Bertrand a eu l'heureuse idée de s'emparer d'une nouvelle écrite en 1895 pour en faire le spectacle que voici. Elle raconte l'enfance et l'adolescence d'Octave. Mais cet Octave-là évoque davantage Jules Renard que Musset. À lui, la famille bornée et sans réelle empathie pour lui, le père froid et la mère distante. Sans parler des deux sœurs idiotes. Mirbeau est misanthrope, aigri presque. « Je ne suis rien » énonce-t-il, quand il n'écrit pas : « Toute la faute en est à la société. »

Souffre-douleur de ses camarades, raillé par sa famille, le jeune garçon ne trouve de réconfort que dans la nature et son observation. Premier morceau de bravoure, … le mariage d'une de ses sœurs. Les deux comédiens qui se partagent tous les rôles se déchaînent : il faut voir Patrick Coulais (déjà apprécié dans « Olga, ma vache ») se glisser dans la peau de la mère. Il faut goûter les discussions âpres des deux familles sur la dot. Ce mélange de jeu et de récit, qui imprègne d'ailleurs toute la pièce, est une trouvaille. On navigue au mieux, ainsi, dans l'univers de cette fin de siècle avec sa bourgeoisie mesquine et son horizon étroit.

Le jeune Mirbeau reste seul et triste. Personne n'est proche de lui. Même pas l'animal de la maison. « Ne pas être compris par un chien, avoue-t-il, n'est-ce pas le dernier mot de la détresse noire ? ». Il a la fièvre typhoïde, fait une méningite. Malgré quelques compensations, la contemplation des étoiles, il demeure marqué par la laideur, celle de ses deux sœurs, celle de sa mère, de surcroît « méchante, obstinée, déformée, … ». La pitié suit, bien sûr.

Avec l'histoire de la cousine, qui vivait chez eux, et qui manque de le violer, …on rit, mais jaune. Il y a une immense frustration et une approche complexe de la sexualité, dans ce minuscule drame. Heureusement, il nous conte bientôt, « la plus belle de ses histoires d'amour ». La description sera naturaliste, comme le veut l'époque. On y entend : « J'étais chaste », « ma chair réveillée », des pensées impures » Tout finira bien, … ou mal, comme on veut. Par un jeu subtil d'entrées et sorties des deux comédiens, incarnation bicéphale de l'auteur, la metteuse en scène fait mouche : cette restitution ne fait pas penser à une lecture améliorée, mais à un vrai travail théâtral, vivant et inspiré. Les comédiens ont matière à dire mais aussi à jouer. Ils nous font entrer dans une époque, dans la vie d'un auteur. Dans cette petite mais agréable salle du Marais, ils sont proches de nous, dans un jeu efficace et sensible. Allez donc redécouvrir Octave Mirbeau, il en vaut la peine.

 

Gérard Noël

 

 

Les souvenirs d'un pauvre diable

d'Octave Mirbeau
Mise en scène de Anne Revel-Bertrand, assistée de Florence Mercier-Handisyde

avec Patrick Coulais  et Yves Rocamora. Musique : Patrick Durand

 

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